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les principales œuvres. Certes ses poésies respirent toute l’ardeur d’un pur et sincère patriotisme local ; mais il a écrit en suédois, c’est-à-dire dans la langue léguée par une première conquête étrangère, tandis que les anciennes poésies transmises dans cet idiome finlandais que parle seul jusqu’aujourd’hui dans le grand-duché la population des campagnes passent avec raison pour l’expression plus directe encore du génie national. Si de nos jours la muse populaire de la Finlande a perdu sa faculté créatrice, tout un peuple lui reste du moins fidèle par une singulière constance de mémoire toujours présente et sûre. Il y a seulement quelques années, il n’était pas rare d’entendre, au fond de quelque pauvre cabane finlandaise, deux chanteurs réciter sur un rhythme triste et doux les strophes transmises par les ancêtres ; à cheval sur un banc, assis l’un en face de l’autre, ils se tenaient par les deux mains, et se balançaient en avant et en arrière, continuant de réciter et de chanter pendant de longues heures, quelquefois pendant tout un jour. Le premier disait deux fois la même strophe, l’autre reprenait, soit pour dire deux fois aussi quelque strophe touchant au même sujet, soit pour en dire une concernant quelque autre épisode. Des femmes même parcouraient le pays en chantant des centaines et des milliers de vers. Saint-Pétersbourg vit souvent passer de pareilles improvisatrices, comme on les appelait, qui mêlaient à leurs inépuisables citations certaines séries d’inventions personnelles. Elles s’accompagnaient sur l’instrument national, le kantele, sorte de harpe à cinq cordes qui se pose à plat et qu’on fait vibrer des deux mains.

Jusqu’au milieu du xviiie siècle, nul patriote ne semble avoir eu la pensée qu’il y avait là de multiples et précieux échos d’une riche poésie populaire ; à peine quelques-uns des évêques, constamment en contact avec la population dans l’intérieur du pays, songeaient-ils à recueillir çà et là par l’écriture, plus rarement par l’imprimerie, des spécimens de ces chants indigènes. Vers 1766 enfin, alors que Percy en Angleterre, Mac Pherson en Écosse, Herder et Goethe en Allemagne, témoignaient un si vif intérêt aux premières manifestations des littératures nationales, l’évêque finlandais Porthan commença en Finlande un tel recueil. Plusieurs élèves continuèrent son œuvre ; toutefois, en se bornant à ce qui les entourait, ces érudits faisaient fausse route. Il fallait sortir du grand-duché, s’enfoncer plus au nord, dans les provinces russes, là où s’étaient conservées plus pures les mœurs et les traditions finlandaises, par exemple dans le gouvernement d’Arkhangel, et particulièrement dans le district de Wuokkiniemi. C’est ce que fit vers 1820 le docteur Topelius. Après avoir recueilli avec soin ce que pouvaient lui livrer les jeunes émigrans de cette contrée qui, chaque automne, quittent leur pays pour aller exercer dans les villes voisines divers métiers,