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trées les moins favorisées de la nature. L’homme par son travail se donne les avantages que la composition de ses terres, la position des lieux qu’il habite, ne lui procurent pas ; mais ces changemens ont placé dans des conditions difficiles les cultivateurs des pays qui s’occupent beaucoup de l’engraissement. Ces cultivateurs trouvent des imitateurs redoutables dans ceux de leurs confrères qui antérieurement leur vendaient les bestiaux maigres, qui ont cessé de leur en fournir ou les font payer plus cher, et qui deviennent leurs concurrens sur les marchés de bestiaux gras.

Ce changement peut avoir de graves conséquences pour quelques provinces ; il y a déjà longtemps que nous les avons signalées pour les riches vallées de la Normandie. On peut dire que quelques pays sont les enfans gâtés de la nature. Sol d’une excessive fertilité, climat favorable aux récoltes, voisinage des grands centres de consommation, mers ou cours d’eau pour le transport des denrées, tout a été disposé par les forces naturelles pour faciliter la production et la vente de leurs produits. Les cultivateurs de ces contrées ont peu cherché à faire des améliorations ; cela du reste leur aurait été difficile, mais ce n’est pas une raison pour qu’ils restent stationnaires. Si l’usage de la viande de cheval prend le développement qu’il n’est pas déraisonnable d’espérer, cela leur procurera des ressources qu’on ne pouvait pas prévoir. La consommation de cette viande peut leur être utile en activant la production des chevaux et peut-être en créant une industrie nouvelle, la préparation de ces animaux pour la boucherie.

Sous ce rapport, la question de l’hippophagie offre un grand intérêt. Si le cheval entre dans la catégorie des animaux alimentaires, il en résultera de sérieuses modifications économiques dans les exploitations rurales et dans beaucoup d’établissemens industriels. Après le travail de l’automne pour les premières, à l’approche des mortes saisons pour les secours, on vendra pour la boucherie les attelages dont on n’aura pas un emploi fructueux. Plus de chômage pour les animaux, plus de rations perdues. Dans l’industrie, on a intérêt à bien nourrir pour obtenir beaucoup de travail. Les chevaux sont donc le plus souvent en état de paraître avec avantage à l’étal du boucher. S’ils laissent à désirer, on leur fera subir une préparation convenable avant de les abattre. Un séjour, même de courte durée, dans une bonne étable, sur une épaisse litière, une nourriture appropriée, produiraient en peu de temps d’excellens effets sur la quantité et les qualités de la viande. Nous avons vu que, par suite des progrès de l’agriculture, les engraisseurs manquent de la matière sur laquelle ils exercent leur industrie, et qu’ils seront bientôt obligés de produire eux-mêmes des