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Les mêmes individus remplissent quelquefois successivement les deux destinations ; après avoir travaillé jusqu’à l’âge de dix ou douze ans, quelquefois plus, dans les contrées où ils sont exclusivement auxiliaires, ils sont achetés, ou par des industriels qui les engraissent avec leurs résidus, ou par des herbagers qui leur font consommer leurs pâturages. Les progrès agricoles ne sont pas nuisibles à cette division de l’industrie rurale, ils la rendent au contraire plus active. Bien que les bœufs traînent la charrue jusqu’à l’âge de dix ou douze ans, nous devons ajouter que les fermes où on les conserve si longtemps deviennent de plus en plus rares ; depuis une vingtaine d’années, on ne voit guère, sur nos marchés de bestiaux gras, des bœufs âgés de plus de six ou sept ans ; ils ont cependant appartenu au moins à deux propriétaires, et souvent à trois. Un les a fait naître et les a élevés en partie, un autre les a fait travailler, un troisième les a engraissés. Les habitans des contrées montagneuses de l’Auvergne, du Velay, de l’Ariége, de la Comté, s’occupent principalement de la multiplication ; les cultivateurs des collines du Poitou, des plaines du Bas-Languedoc, des coteaux du Morvan, emploient les bœufs surtout au labourage des terres, et les herbagers de la Normandie, du Charolais, de la Flandre, les engraissent. Le seul changement que les progrès de l’art agricole apportent dans cette industrie, c’est que des pays qui anciennement s’occupaient exclusivement de la production des bêtes bovines et de leur utilisation à la charrue en engraissent de nos jours. Par l’introduction des instrumens aratoires perfectionnés, par la pratique des labours profonds, par l’emploi des amendement, de la chaux notamment, ils ont transformé des terres médiocres et même de mauvaises terres en bons fonds. On n’y cultivait anciennement que le seigle, l’avoine et la pomme de terre ; aujourd’hui elles produisent d’excellent froment, de la luzerne, du trèfle et des racines propres à alimenter des usines ou à engraisser les bestiaux. Aux changemens avantageux qui résultent de l’amélioration des terres, il faut ajouter le bon entretien des chemins ruraux, l’ouverture des canaux, l’établissement de sucreries, de distilleries, de féculeries, etc. Des contrées où la culture était difficile tirent du perfectionnement de la viabilité des avantages qu’il est plus facile de concevoir que d’évaluer. Pour les régions qui sont éloignées des grands centres de consommation, de notables progrès sont dus surtout à l’établissement des chemins de fer. Les distances pour elles ont presque disparu. Des bœufs qui, il y a cinquante ans, ne seraient arrivés à Paris des herbages où ils étaient engraissés qu’après six ou huit journées de fatigues y viennent aujourd’hui en trente ou quarante heures. Les améliorations profitent donc surtout aux con-