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çant, même lorsqu’il est vivement exécuté ; cette fois les musiciens le jouaient très lentement, en réglant la mesure sur la lenteur de la marche. C’était saisissant et terrible ; c’était aussi un spectacle imposant que celui de ces cavaliers de haute taille, maigres et d’un certain âge, dont l’aspect s’accordait avec ces accens. Isolément, ils tenaient du don Quichotte ; en masse, ils étaient très respectables. » Voilà les adieux que nos soldats de 1793 faisaient à l’Allemagne en attendant qu’elle les vît revenir en vainqueurs. Les mêmes hommes qui avaient lâché pied le 11 avril, au commencement du siège, mais qu’avaient transformés trois mois et demi de combats sous des chefs intrépides, étonnaient maintenant leurs adversaires par la fermeté de leur contenance. Il y a loin de cette fière attitude au triste défilé des troupes françaises après les capitulations de Sedan et de Metz, au spectacle de la garde impériale tout entière, déposant ses armes, en ordre de bataille, aux pieds de nos ennemis, pour suivre ensuite le chemin de l’étranger sous la conduite des caporaux prussiens, au sort lamentable de tant de braves gens qu’on a vus, du 2 au 4 septembre, grelottans de froid et de misère, mourant de faim, parqués comme des troupeaux dans des plaines sans abri ou poussés sur les routes à coups de crosse de fusil par des conscrits imberbes, pendant que celui qui avait causé tous leurs maux s’épargnait le souci de les partager avec eux. Ni Merlin de Thionville ni Kléber n’auraient consenti à faire passer leurs soldats sous les fourches caudines dont les généraux du second empire ont subi l’humiliation. Si on leur avait proposé de capituler à un tel prix, leur seule réponse eût été de saisir leurs armes et de se frayer un passage sous la mitraille, à travers mille morts, comme le fit Kléber en Égypte, quand il rompit la convention d’El-Arich, au risque d’être écrasé par 80,000 hommes, plutôt que de désarmer ses héroïques bataillons. Ceux qui nous commandent aujourd’hui n’auront point d’autres sentimens que les généraux de la première république. Les hontes de l’année 1870 ne se reverront plus dans notre histoire. Nos armées, instruites par l’expérience, ne se réduiront plus au rôle de garnisons ; elles ne s’exposeront plus, en s’enfermant derrière des remparts, à capituler encore une fois. Elles savent ce que le pays leur demande, ce qu’il leur faut de courage pour réparer nos désastres et relever notre honneur militaire ; elles n’attendront pas que l’ennemi les accule à la nécessité de mourir de faim ou de se rendre. Quels que soient les périls de l’entreprise, elles franchiront les lignes qui nous enveloppent ; inutiles au dedans, elles iront au dehors continuer avec nos infatigables défenseurs de la province les combats d’où doit sortir la délivrance.

A. Mézières.