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chevaux morts que le fleuve entraînait. D’autres animaux, que le siège de Paris a fait entrer dans la consommation, eurent aussi leur tour. Un chat se vendait 6 francs. Aubert-Dubayet fit servir un jour à son état-major un rôti de rats. Le vin et le blé durèrent plus longtemps. Goethe dit même que les assiégeans trouvèrent sous les voûtes de la cathédrale un grand nombre de sacs de farine qu’on y avait entassés à l’abri des bombes. Suivant lui, et il semble exprimer l’opinion de l’état-major prussien, la place aurait pu tenir quelques jours de plus ; mais c’étaient les jours nécessaires que doit se réserver un général prudent pour obtenir la capitulation la plus avantageuse, pour offrir quelque chose à l’ennemi en échange de ce qu’il demande, pour ne pas exposer ses soldats au danger de se rendre à la dernière heure sans conditions. Les assiégés qui n’ont plus rien à manger le jour où ils capitulent ne fixent pas eux-mêmes les termes de la capitulation ; ils la subissent telle qu’on la leur impose, puisqu’il ne leur reste aucun moyen d’y échapper. Ils se condamnent en même temps à la cruelle alternative de mourir de faim ou de se faire nourrir par l’ennemi, après s’être rendus. Merlin de Thionville fit donc sagement de ne pas attendre que les dernières ressources fussent épuisées. Peut-être même répandit-il avec intention le bruit qu’il lui restait encore des vivres, pour que cette nouvelle parvînt aux assiégeans par les émissaires qu’ils entretenaient dans la ville et les rendît plus accommodans. On estime qu’à la grande rigueur il eût pu prolonger encore le siège de quinze jours en imposant à ses soldats et aux habitans de cruelles privations. Il n’y eût absolument rien gagné, et il y eût perdu toutes chances de capitulation honorable.

Il devait d’ailleurs songer aux souffrances des habitans. Le bombardement avait causé à ceux-ci beaucoup de mal. La garnison ne pouvait voir sans tristesse que pour la forcer à se rendre les Allemands fissent tant de victimes parmi leurs compatriotes et accumulassent les ruines dans une place allemande. Après avoir essuyé pendant vingt-six jours le feu de vingt batteries, Mayence offrait le plus lamentable spectacle. « Nous l’avons trouvé, dit Goethe, dans le plus triste état. L’œuvre des siècles, où dans la situation la plus heureuse du monde les richesses des provinces affluaient, où la religion avait cherché à conserver et à multiplier les biens de ses serviteurs, n’était plus qu’un amas de décombres. Un trouble profond s’emparait des esprits à cette vue, on était beaucoup plus affligé que si l’on eût rencontré une ville réduite en cendres par le hasard. » On ne voyait de tous côtés que des murs qui menaçaient ruine, des tours ébranlées, des édifices à moitié détruits. De splendides résidences avaient presque complètement disparu. On cherchait inutilement sur les bords du Rhin le palais de la Fa-