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et qu’on ne rentrât facilement dans la ville qu’ils abandonnaient. En la quittant, Merlin de Thionville exprimait l’intention et l’espoir d’y revenir un jour prochain. Seulement la première condition pour obtenir une capitulation favorable, c’est de ne pas attendre la dernière heure, de ne pas avoir épuisé toutes ses ressources. Si on capitule à la veille de mourir de faim et que l’ennemi le soupçonne, on n’obtient de lui aucun avantage. Il sait que la famine travaille pour lui ; il se montre d’autant plus dur qu’il croit moins à la possibilité de prolonger la résistance. Les généraux français avaient été très préoccupés, dès le commencement du siège, de la question des vivres, dont l’insuffisance leur inspirait de grandes inquiétudes. Custine, en quittant la ville, ne leur laissait que des approvisionnemens incomplets, quoiqu’il eût annoncé le contraire à la convention, et le rapide investissement de la place ne permit point de se ravitailler. Du 14 avril au 23 juillet, la ville fut réduite à ses propres ressources, et ne put recevoir du dehors aucun approvisionnement. Dès le 24 juin, les vivres devinrent si rares qu’il parut impossible, si le siège se prolongeait, de nourrir à la fois la garnison et la population tout entière. Il fallut faire sortir ce qu’on appelle dans une ville assiégée les bouches inutiles, les vieillards, les malades, les femmes, les enfans, tous ceux du moins qui ne pouvaient se suffire à eux-mêmes.

Ce fut l’épisode le plus douloureux du siège. Ces infortunés, conduits à Cassel par les Français, ne purent pénétrer dans les ligues allemandes, d’où on les repoussa impitoyablement, et passèrent toute une nuit sur le terrain qui séparait les combattans, exposés à un double feu. Le lendemain, des soldats français emportaient de petits enfans blessés dans le pan de leurs habits. « La détresse de ces pauvres gens, dit Goethe, écrasés entre les ennemis du dedans et ceux du dehors, a dépassé tout ce qu’on pouvait imaginer. » Après la capitulation, les habitans de Cassel lui parlaient encore avec effroi de toutes les souffrances auxquelles ils avaient assisté sans pouvoir les soulager. Ces tristes scènes nous apprennent avec quelle dureté les Allemands faisaient déjà la guerre. Dans un camp qui regorgeait de vivres, il eût été facile de recevoir et de nourrir les malheureux chassés de la place par la famine, de leur procurer tout au moins les moyens de gagner la campagne et de se mettre à l’abri ; mais, par un de ces calculs dont nous avons vu trop d’exemples en 1870, on aimait mieux les laisser à la charge des assiégés : afin de forcer ceux-ci à capituler plus tôt.

Les ressources de la garnison s’épuisaient en effet rapidement. La viande de bœuf manqua la première. Les soldats ne mangeaient plus que de la viande de cheval, et quelquefois même, pour augmenter leur maigre pitance, ils allaient chercher dans le Rhin les