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à l’aile droite, la position de Weissenau et une redoute qui dominait la Chartreuse, le feu fut dirigé contre la ville. Comme elles le font aujourd’hui, les troupes allemandes espéraient hâter la reddition de la place en bombardant les maisons et les monumens. Elles appliquaient déjà le même système de guerre impitoyable qui associe la population civile à toutes les épreuves des combattans et fait souffrir à dessein les êtres inoffensifs pour désarmer plus tôt ceux qui résistent. Au siège de Mayence, le bombardement paraissait d’autant plus odieux que les généraux de la coalition employaient des soldats allemands à détruire une des villes les plus florissantes de l’Allemagne, une de celles qui renfermaient le plus de souvenirs et de curiosités historiques. L’artillerie des alliés n’épargna pas plus la vieille cité germanique qu’elle n’a épargné Strasbourg en 1870. Dès le 27, les premières bombes mettaient le feu au Doyenné, une merveille d’architecture dont Goethe ne trouvait plus qu’une colonnade debout, lorsqu’il visita Mayence après la capitulation. Les voûtes magnifiques s’étaient écroulées sous une pluie de fer, et à l’endroit même où s’élevait l’élégant édifice on ne marchait plus que sur des décombres, on ne reconnaissait quelques vestiges de la grandeur ancienne que pour en maudire la destruction. Les jours suivans, les boulets atteignirent la cathédrale, en firent sauter les tours, en incendièrent les toitures, et détruisirent en grande partie l’église des jésuites. Le 3 juillet, un incendie éclatait dans la chapelle de Saint-Sébastien et embrasait les maisons voisines ; le 13 juillet, l’hôtel de ville s’enflammait à son tour, ainsi que d’autres monumens publics. Dans la nuit du 14 au 15, après un court armistice, le bombardement recommençait avec une effroyable violence. Du point qu’il occupait, Goethe voyait brûler le couvent des bénédictins, un laboratoire sauter, dans tout un quartier de la ville des cheminées s’écrouler, des fenêtres et des toits voler en éclats. Enfin le coup le plus terrible était porté aux assiégés par la destruction des moulins en bois qui occupent le Rhin sur une longue ligne d’une rive à l’autre, parallèlement au pont de bateaux, et qui nourrissent la ville.

Tout est spectacle pour les foules humaines. Les scènes de destruction, les ravages que fait la guerre, inspirent aux hommes une âpre, mais irrésistible curiosité. On veut voir, on veut repaître ses yeux des images les plus terribles, dût-on frissonner après coup au souvenir de ce qu’on a vu. Chaque jour, sur les hauteurs qui dominent Weissenau, et où Goethe aimait à se promener pour suivre comme d’un observatoire favorable l’ensemble des opérations du siège, des curieux venaient assister aux progrès du bombardement. Le dimanche, c’était le rendez-vous d’une multitude de paysans qui y accouraient comme à une partie de plaisir. Quoique les spec-