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coalisés furent donc obligés d’ouvrir un siège en règle et d’attaquer la place par les moyens ordinaires, en traçant des parallèles, en creusant des tranchées. Leur première tentative, à laquelle Goethe assistait, échoua complètement par une de ces méprises qui ne sont point rares à la guerre, et dont on retrouverait des exemples dans presque tous les sièges de quelque durée. Le 16 juin, par une nuit très sombre, l’aile droite des assiégeans devait s’approcher sans bruit des murs et installer ses travailleurs sur des points fixés d’avance par les officiers du génie. Au milieu de l’obscurité, Goethe, qu’on avait prévenu de ce qui allait se faire et qui s’était porté à dessein sur une hauteur, voyait les soldats autrichiens, vêtus de gris, s’avancer en silence, emportant sur leur dos des fascines ; le bruit de quelques fers de pioches ou de pelles qui s’entre-choquaient par accident trahissait seul la marche de la colonne. Tout à coup une vive fusillade éclate à l’endroit même où la tranchée devait être ouverte et les travailleurs s’enfuient en désordre en jetant leurs fascines. C’étaient les avant-postes des assiégeans qui venaient de tirer sur leurs propres troupes, les prenant pour des Français. Il fallut retarder les travaux d’approche, qui ne purent commencer que le 18 juin.

Une autre tentative que firent les coalisés pour forcer le passage du Rhin ne réussit pas davantage. Ils construisaient mystérieusement sur la rive droite du fleuve au sud de Cassel une batterie flottante qui devait opérer contre les îles du Mein, et dont ils attendaient les plus heureux résultats. Goethe avait entendu parler de ce projet, et le hasard le rendit témoin de la malheureuse issue de l’entreprise. Un jour, pendant qu’il se promenait à cheval au-dessus de Weissenau sur des hauteurs d’où l’on découvre tous les environs de Mayence, il vit d’abord une batterie autrichienne diriger son feu sur des barques françaises et couvrir de projectiles l’embouchure de la rivière, puis tout à coup s’élancer du milieu des buissons et des arbres qui l’avaient masquée jusque-là une grande charpente carrée, une immense machine qui se mit à flotter dans la direction de la ville. Il faisait intérieurement des vœux pour que « ce monstre marin, ce nouveau cheval de Troie, » ainsi qu’il l’appelle, continuât sa route sans accident ; mais ses espérances ne se réalisèrent point. Bientôt la masse flottante, qu’aucune force humaine ne pouvait diriger, se mit à tourner sur elle-même, entraînée par le courant, et alla échouer non loin du pont de bateaux sur la berge de Cassel, où les soldats français s’emparèrent de tout l’équipage. Avec sa lunette d’approche, Goethe, du point culminant où il était placé, voyait les Français courir sur la rive droite du Rhin, et pouvait compter les prisonniers que les eaux rapides du fleuve amenaient ainsi entre leurs mains comme une proie inévitable.

Le 27 du même mois, après que les Autrichiens eurent emporté