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mal armés, mais conduits par des chefs intrépides, se mesuraient peu à peu sans désavantage avec leurs redoutables adversaires. On les avait aguerris en leur montrant tous les jours l’ennemi, en les menant au feu tous les jours. La première fois qu’on les avait fait sortir, un coup de fusil tiré par mégarde avait jeté la panique dans leurs rangs ; beaucoup même avaient lâché pied, comme les soldats de Dumouriez le faisaient l’année précédente au défilé du Chêne-Populeux, quelques jours avant la bataille de Valmy. Les mêmes hommes, après trois mois de siège, refusaient de capituler, et composaient la meilleure armée qu’eût la France, la célèbre légion des Mayençais. En trois mois, que l’obtient pas un général d’une race guerrière comme la nôtre ! Il n’avait pas fallu tant de temps à Dumouriez pour former une partie des combattans de Jemmapes. Combien restait-il de vétérans à Napoléon après la campagne de Russie ? N’est-ce pas avec des conscrits, presque avec des enfans, disait M. de Metternich, qu’il gagna en 1813 les batailles de Lutzen, de Bautzen et de Dresde ? Ceux qui aujourd’hui en France s’en prendraient de leurs hésitations à la qualité de leurs troupes se condamneraient eux-mêmes. Si les bons soldats leur manquent, c’est qu’ils n’ont pas su les faire. Les bons soldats n’ont jamais manqué aux officiers qui savaient les commander ; mais la première condition pour conduire les hommes, c’est d’agir avec résolution et de leur tenir un langage décidé, de ne paraître à aucun moment douter ni d’eux, ni de soi, ni de la fortune.

Le récit de Goethe nous fait connaître en quelque sorte jour par jour les vigoureux efforts des assiégés, qui ne se bornaient pas à repousser ou attendre les attaques des assiégeans, qui prenaient eux-mêmes à chaque instant l’offensive, et déployaient la plus grande activité. C’est par ces continuels combats que les représentans du peuple et les généraux français développaient chez leurs jeunes troupes des qualités militaires qui ne s’acquièrent que sous le feu, le sang-froid, l’audace, le mépris du danger, le respect de la discipliné. Après les grands engagemens du 30 et du 31 mai, ils ne prenaient pas même une semaine de repos ; dès le 5 juin, ils recommençaient à se battre, près du faubourg de Cassel ; le 9 du même mois, ils attaquaient le bourg de Sainte-Croix, défendu par les Autrichiens, mettaient le feu à une partie des positions ennemies, et ramenaient des prisonniers ; le 10, profitant de la facilité avec laquelle les assiégés, qui ont toujours moins d’espace à parcourir que les assiégeans, peuvent déplacer leurs attaques, ils portaient leurs efforts à l’extrémité de la ligne ennemie contre l’aile gauche, où se trouvaient les Prussiens, et menaçaient le camp de Darmstadt ; le 14 pendant la nuit, ils tentaient une sortie générale sur tous les points de la ligne d’investissement. Au bout de deux