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avons fait, l’histoire de chacun de nous enfin, ce sera de l’histoire un jour.

Il y avait bien d’abord, quand a commencé la grande épreuve, quelque agitation inutile dans la rue, je ne sais quelle gaîté malséante en de si tristes jours, et le courage n’était pas lui-même sans quelque pointe de forfanterie. Tout cela est changé à l’heure qu’il est, et quelqu’un qui aurait vu Paris dans le cours de septembre ne le reconnaîtrait pas. Les parties légères et vaines de l’esprit parisien se sont évaporées dans l’effervescence des premières heures de la république et des derniers soleils d’automne. Il n’en est resté que la meilleure part et la plus solide, la résolution, le patriotisme obstiné, la foi dans le génie de la France. Nous avons fait voir au monde, qui contemplait nos premiers désastres avec une pitié sans bienveillance, ce qu’il y a de ressources dans les forces et le cœur de ce peuple, et que sa volonté intrépide a pu s’égaler à son immense désastre. Il a soutenu une de ces luttes où l’on entraîne son ennemi dans sa chute quand on ne se relève pas vainqueur et vengé. Ah ! je le sais, ce sont là sentimens peu politiques que la raison positive condamne ; mais c’est l’impression du grand cœur de Paris, grand à travers ses passions mêmes et ses misères, — c’est cette impression que je traduis ainsi. En vain vient-on lui dire : « Soyons sages. Faut-il absolument être héroïque ? » Il repousse cette politique de la prudence, si elle ne s’offre pas à lui avec des conditions qui n’humilient pas le présent et n’imposent pas à l’avenir le devoir de revanches sans fin. Combien je préfère à cette sagesse des conseillers de tant d’esprit et de résignation la folie que l’honneur inspire et qui n’est après tout que le sentiment exalté du devoir ! Cette folie aussi peut avoir sa clairvoyance, et que de fois n’est-il pas arrivé que les gens raisonnables ont eu tort contre elle !

La voilà faite dans l’épreuve et le sacrifice la réconciliation de la France entière ! Maintenant, quoi qu’il arrive, l’âme de la patrie est retrouvée ; la France recommence. Nous avons senti ce qu’est la patrie en la voyant souffrir. Avec quelle exaltation nous le sentirons le jour où nous la verrons triomphante et délivrée ! Cette guerre qui aura épuisé notre plus généreux sang, il est possible qu’elle fasse l’unité de l’Allemagne ; mais ce ne sera jamais que l’unité de territoire et de caserne. À coup sûr, cette guerre aura renouvelé l’union de la France, son union indissoluble et sacrée dans la liberté et dans l’amour.

E. Caro

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