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justes droits de la conquête. Enfin, car la liste des griefs est longue, dans quel pays a-t-on jamais vu gaspillage pareil des deniers publics ? En une autre circonstance déjà, nos aimables ennemis avaient doucement blâmé le gaspillage incompréhensible que nous faisons de notre poudre ; ils nous en avaient charitablement avertis. Aujourd’hui il s’agit de nos finances, et le conseil marque la même bonté d’âme. En vérité, à quoi pensent donc M. Gambetta et ses amis ? En prenant possession des pouvoirs et des coffres de l’état, ils ont commencé par acheter les fusils du monde entier. Est-ce assez maladroit, quand ils pouvaient avec ce bon argent acheter les grains dont la France a si grand besoin pour compléter les déficits de sa dernière récolte ?

Ces fusils du monde entier, ils sont maintenant entre les mains de nos frères de province qui marchent en bataillons innombrables sous les drapeaux de Chanzy, de Bourbaki, de Faidherbe, et qui, à force de vaillance, lasseront enfin l’obstination de la mauvaise fortune. Nous n’assistons qu’en imagination à ce grand spectacle de la France ressuscitée ; mais nous avons sous les yeux celui de Paris, et il n’en est pas de plus beau. Je voudrais, dans un tableau rapide qui serait la conclusion naturelle de cette étude, montrer à nos détracteurs de Berlin ce qu’est devenu sous la rude discipline du malheur ce Paris que ces hommes graves ont jugé si légèrement sur la foi de quelques mauvais romans, et où il leur plaisait de voir l’auberge élégante de tous les vices de l’Europe. Je voudrais qu’ils le vissent maintenant, tel que l’a fait une longue et terrible guerre, calme sous une pluie de feu, plus résolu que jamais dans ce quatrième mois du siège qui va s’accomplir. Le voir ainsi, ce serait le châtiment de nos plus cruels ennemis. Quatre mois de siège, ce n’est pas de l’héroïsme encore, je le veux bien, et ce n’est que depuis peu de temps que nous commençons à mériter cette admiration de l’univers qu’on nous décernait dès les premiers jours ; mais enfin il y a eu, il y a surtout maintenant de grandes souffrances supportées par une population immense avec un calme qui ne se serait pas démenti, si des vanités sinistres, d’atroces ambitions ne venaient par instant le troubler, l’irriter et menacer de soulever le chaos où s’engloutirait ce qui reste de la fortune et de l’honneur de la France.

La situation est unique dans l’histoire. Depuis le 18 septembre au matin, un cercle de fer s’est fermé impitoyablement sur une ville de deux millions d’habitans, que le même coup a retranchés du reste du monde ; ce n’est plus qu’à de bien rares intervalles qu’il nous est donné par des moyens primitifs qui seraient lisibles, s’ils n’étaient touchans, quelques nouvelles de nos chers absens et ces échos du dehors qui nous apportent les dernières pal-