Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 91.djvu/267

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Notre armée renouvelée deviendra, elle aussi, comme l’a été l’armée prussienne après Iéna, une école de patriotisme. Elle l’est déjà, même dans l’organisation hâtive que les circonstances et le péril public lui ont donnée. N’est-ce donc rien en effet que ce mélange déjà réalisé des divers élémens dont se compose la nation : la garde nationale, qui représente tout le monde ; la garde mobile, qui représente plus spécialement les jeunes générations tirées des ateliers ou des travaux des champs ; l’armée régulière enfin, dont les débris combattent aujourd’hui près d’elle et prendront à ce contact les germes de l’esprit national, qui seul peut soutenir leur dernier élan ? — Cette expérimentation, faite dans le danger suprême, sur l’élément civil appliqué à la défense, cet appel fait aux énergies individuelles le lendemain des catastrophes, cette mission de sauver la France donnée à la France elle-même après la destruction de ses armées, tout cela aura, en dehors des résultats militaires, une conséquence du plus haut prix : le rapprochement des classes et des partis sous le même uniforme, dans la rue, sur les remparts, aux tranchées, partout. Ç’a été un spectacle unique dans l’histoire que de voir ainsi se mêler sur le champ de bataille toutes les conditions, toutes les habitudes, les professions les plus diverses. Les religieux, les prêtres, ont eu leur large part au péril et à la gloire. Personne, même dans les quartiers perdus, n’oserait insulter maintenant à la robe de bure des frères de la doctrine chrétienne, depuis que cette robe a été trouée par les balles prussiennes sur le plateau de Champigny, dans la plaine du Bourget, sous le drapeau des ambulances. Personne, même parmi les penseurs les plus hostiles, n’oserait révoquer en doute le patriotisme du clergé depuis qu’on a lu l’éloquente lettre de l’évêque d’Orléans quelques jours avant l’invasion de sa ville épiscopale, ou celle de l’évêque d’Angers à ses jeunes séminaristes, leur mettant à la main un fusil et les poussant à faire leur devoir. — Ainsi tomberont, j’espère, bien des préjugés et des haines, ainsi se préparera l’ère de la vraie liberté, qui ne peut exister que par la tolérance réciproque des opinions et le respect des convictions d’autrui. Tout cela doit amener en même temps une ère de concorde, une paix définitive entre les classes. — Quand des habitans de la même ville, étrangers les uns aux autres avant cette dernière épreuve, auront vécu ensemble des mêmes privations et dans le même péril, comment serait-il possible qu’un jour la haine politique s’emparât de ces frères d’armes et tournât le fusil de l’un contre la poitrine des autres ? La guerre contre l’étranger, soutenue d’un commun accord, aura désarmé à tout jamais la guerre civile. Je veux le croire. Il y a deux mois, dans un des plus tristes jours de la triste histoire que nous traversons, vers le 31 octobre, à l’une de ces heures néfastes