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LES FINANCES DE L’EMPIRE.

nomène, au lieu d’inspirer l’horreur et la haine chez les peuples qui en sont les artisans et les victimes, elle ne leur laisse qu’un sentiment d’admiration et souvent même de sympathie pour celui qui l’a conquise. Les nations, comme les individus, aiment à donner des preuves de leurs forces : elles sont flattées quand elles l’emportent sur leurs rivales, et ne peuvent s’empêcher de savoir gré à l’homme qui les a aidées à établir cette supériorité. La guerre, quand elle est heureuse, est donc un des meilleurs moyens de fonder ou d’affermir une dynastie, de passionner le peuple, d’occuper son activité, d’éloigner les embarras intérieurs. L’empereur n’ignorait pas ces vérités. Aussi, sans avoir au fond un goût marqué pour la guerre, était-il décidé à l’entreprendre, chaque fois qu’elle serait utile aux besoins de sa politique. Il faut lui rendre cependant cette justice, que les événemens se chargèrent de lui offrir la première occasion de tirer l’épée. La Russie venait de reprendre l’exécution de ses desseins héréditaires sur l’Orient ; elle avait détruit la flotte turque dans la Mer-Noire et mis le siège devant Silistrie. L’équilibre et la paix de l’Europe se trouvaient menacés. Une alliance fut conclue entre la France et l’Angleterre, et les armées des deux pays furent envoyées contre l’envahisseur. On connaît les phases de la campagne de Crimée, qui se termina par la prise de Sébastopol, et qui eut pour résultat d’arrêter pendant quatorze ans l’ambition russe, aujourd’hui réveillée par nos malheurs. Trois ans après, les douleurs d’un peuple brisé sous le joug étranger remirent les armes aux mains de la France. La liberté de l’Italie fut scellée de notre sang dans deux victoires célèbres. Ces triomphes avaient grandi le pays, relevé l’honneur de nos armes des échecs de 1815, et porté Napoléon à l’apogée de sa puissance. À partir de ce moment commencent les expéditions lointaines et les aventures. À l’expédition de Syrie, entreprise pour la défense des chrétiens d’Orient, succèdent celles de Cochinchine, de Chine, du Japon, pour le respect de nos nationaux, puis la malheureuse guerre du Mexique pour la protection d’où ne sait quels intérêts et pour la fondation d’un empire chimérique. Pendant ce temps, la Prusse écrasait l’Autriche à Sadowa, réunissait sous ses lois toute l’Allemagne, et prenait vis-à-vis de la France une attitude redoutable. L’horizon se couvrait de nuages menaçans, les intentions hostiles étaient à peine dissimulées. Un appareil formidable était organisé pour nous combattre. Ce fut alors qu’à l’improviste, sans plan arrêté, sans préparatifs, avec une légèreté et un aveuglement inouïs, le gouvernement précipita la nation dans la guerre désastreuse qui devait emporter l’empire et conduire le pays à deux doigts de sa perte.

L’administration des finances, pendant les dix-huit années du