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L’ARTILLERIE DEPUIS LA GUERRE.

non se chargeant par la culasse dans un certain nombre de circonstances de guerre, il a eu tort de ne rien faire. Il est facile de répondre à cette accusation d’inconséquence. Dans la disposition où se trouvaient les esprits après la campagne d’Italie, après les expéditions de Chine et du Mexique, après la guerre de 1866, et en face des appréhensions qu’inspirait la politique du gouvernement, pense-t-on que la chambre des députés, qui venait de voter 113 millions pour le changement radical de l’armement des troupes, ait été disposée à donner encore au ministre de la guerre une centaine de millions pour exécuter le changement, également radical, d’une grande partie, de la plus coûteuse partie du matériel de l’artillerie, quand l’opinion n’était pas fixée sur ce point, et n’exerçait pas de pression ? Pense-t-on aussi que le bronze et la fonte fussent des métaux convenables pour la fabrication des grosses bouches à feu de ce système, et, s’ils étaient insuffisans, s’il fallait l’acier fondu, un acier fondu d’une qualité supérieure, croit-on que l’industrie française fût en mesure de produire cet acier en masses capables de fournir un canon de 24 ou de 30 ? Sait-on les tentatives qui ont été faites dans ce sens ? Peut-être n’a-t-on été arrêté que par des questions de minerais et d’outillage, et surtout par l’absence de marteaux-pilons assez puissans, de marteaux-pilons comme en possède M. Krüpp, et dont probablement le roi de Prusse a fait les premiers frais, sans permission de sa chambre, avec son trésor de guerre. En fait, dans cette question du canon se chargeant par la culasse comme dans celle du fusil à tir rapide, l’artillerie a fait ce qu’elle devait et ce qu’elle pouvait. Elle avait étudié en temps utile ces nouveaux types d’armes, et les modèles se sont trouvés prêts aux momens précis où l’opinion publique les a réclamés avec assez de force pour contraindre les députés ou le gouvernement à délier les cordons de la bourse. Le fusil Chassepot existait avant Sadowa, le canon se chargeant par la culasse existait avant Forbach. On ne peut pas exiger davantage.

Tout finit, et dans un pays constitutionnel on peut dire que tout commence par une question d’argent. Le corps de l’artillerie n’a point, et n’aura probablement jamais qualité pour se voter à lui-même les fonds qu’il croit lui être nécessaires. Il est donc irresponsable des dépenses qu’il n’a pas faites parce qu’il n’avait pas les moyens de les faire. Le pouvoir législatif accorde annuellement au ministre de la guerre une somme d’un peu plus de 8 millions de francs pour l’entretien et le renouvellement du matériel de l’artillerie, qui représente une valeur de plus de 500 millions, et l’emploi de ce crédit est déterminé, spécifié jusque dans ses détails, tant pour les bâtimens, tant pour les machines et outils, tant pour les