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L’artillerie
avant et depuis la guerre


Une nation qui s’est endormie sur ses lauriers, s’estimant invincible, et qui est arrachée à ses rêves aussi brusquement que vient de l’être la nôtre, ne se résigne pas aisément à reconnaître les vraies causes de ses désastres. Elle se sent coupable, et il lui faut des victimes expiatoires. Dans un moment de surprise et de douleur, il a plu à l’opinion publique de faire du corps de l’artillerie un bouc émissaire. En attendant l’heure de la justice et de la vérité, il nous semble utile de faire un exposé de la situation de l’artillerie avant et depuis la guerre. Quelques esprits difficiles se méfieront, pensant que je suis artilleur. Cela est vrai, et je ne saurais qu’y faire… Ce qui me rassure et me décide, c’est que d’autres esprits, probablement en majorité, seront d’avis que ce n’est pas là un motif suffisant, et seront disposés à m’écouter avec la bienveillance et l’attention que l’on paraît quelquefois accorder aux personnes qui sont étrangères à la question qu’elles traitent.

Je n’ai nulle envie d’analyser les causes profondes et diverses qui ont déterminé cet état d’anémie dans lequel notre pays était tombé, et dont il se relèvera, grâce au stimulant du malheur. C’est aux philosophes et aux historiens qu’il appartiendra de faire plus tard cet examen ; mais cet affaissement général s’était transmis à l’armée française, qui, plus que toute autre armée, reflète les vertus et les vices de la nation dont elle émane. C’est de l’armée seule qu’il s’agit ici.