est favorable ; ceux qui ont encore quelque traité qui les incommode n’ont plus à se gêner, ils sont libres, pourvu qu’ils aient la force ; tout droit est momentanément suspendu.
À vrai dire, de tous ces actes passablement extraordinaires, le moins imprévu est celui du cabinet de Saint-Pétersbourg. Depuis dix ans, la Russie n’a cessé de poursuivre avec une ténacité patiente la révision de ce traité de 1856, qui pesait sur sa politique autant que sur son orgueil. On a oublié peut-être que dès 1860, profitant du trouble que l’annexion de la Savoie avait jeté dans les relations européennes, elle essayait de revenir sur tous ces arrangemens de l’Orient. Le prince Gortchakof n’abordait pas précisément la question de front, il se contentait d’appeler l’attention des grandes puissances sur la situation douloureuse des chrétiens de la Bosnie et de la Bulgarie en provoquant la réunion d’une conférence où les stipulations du traité de Paris pourraient être remaniées. Plus d’une fois, avant la guerre actuelle, la Russie, allant plus loin, avait laissé entrevoir la pensée formelle de réclamer la révision de ce traité, et peut-être avait-elle été encouragée dans ses espérances par plus d’un cabinet. On ne peut donc guère s’étonner qu’elle ait poursuivi jusqu’au bout la réalisation d’un dessein invariable ; mais c’est le moment où elle a fait cette démarche qui est caractéristique. Quant à la Prusse, tout ce qu’on peut dire, c’est qu’elle a dénoncé le traité sur le Luxembourg parce que telle était sa volonté, et qu’elle avait encore moins à se gêner que la Russie.
Or, devant toutes ces licences de la force, quelle est l’attitude de la diplomatie, des puissances neutres qui peuvent passer pour représenter encore la raison de l’Europe et ce qui reste de droit ? L’Europe ressent visiblement un véritable malaise de toutes ces violations brutales du droit, elle semble en quelque sorte paralysée ; elle est à la fois mécontente et impuissante. L’Angleterre, ce n’est point douteux, a commencé par se révolter. Lord Granville n’a point eu de peine à relever l’incorrection diplomatique des prétentions russes, et il a exprimé la vivacité du sentiment anglais ; mais cette vivacité n’a point tardé à se calmer. On a cherché à se faire une raison, et, comme pour dérouter l’opinion, une main mystérieuse est venue à propos jeter dans la presse une sorte de ballon d’essai des plus étourdissans : c’était le projet d’une combinaison qui désintéresserait l’Angleterre en lui livrant l’Égypte, tandis que la Russie occuperait les principautés danubiennes, tandis que la Prusse s’approprierait tout simplement le Luxembourg, la Lorraine et l’Alsace. La combinaison est merveilleuse en effet, elle doit être l’œuvre de M. de Bismarck, qui s’est dit apparemment que la complicité de l’Angleterre dans les violences du moment serait une garantie de plus pour lui. L’Angleterre n’a point sans doute assez changé en quelques mois, elle n’est point assez convertie à la toute-puissance de la force pour se lais-