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Elle est seule à présent, car son mari se bat,
Et voilà deux cents jours que dure le combat !
Hier encore elle a pu lire une chère lettre,
Alors elle s’est dit : Il reviendra peut-être !…
Il reviendra, c’est sûr, car mon cœur me l’a dit !…

Hélas ! voyez le soir qui vient, un soir maudit !

On remet à la mère une dépêche… Elle ouvre…
Pourquoi ce deuil ? pourquoi ce voile qui la couvre ?
Elle dit à l’enfant qu’elle tient dans ses bras :
« Lorsque tu seras grand, tu ne te battras pas ! »

Mère, tu comprends mal la tâche qui t’incombe :
Parle au fils au berceau du père dans la tombe !
Fais pendant quatorze ans bondir ce jeune cœur,
Sans cesse, en lui disant ce qu’a fait le vainqueur !
Pour qu’il rêve à son tour une horrible victoire,
Déroule devant lui notre sanglante histoire !
Dans cette âme que Dieu fit naître pour aimer.
C’est la haine contre eux qu’il faut faire germer !
Parle-lui du passé, parle-lui de la honte,
Et qu’il veuille effacer tout ce qu’on lui raconte,
Pour qu’il ne reste rien de leurs crimes anciens.
Par le sang du maudit et par le sang des siens !
La mère d’aujourd’hui doit s’inspirer de Rome :
Ils l’ont fait orphelin ? À toi d’en faire un homme !

Albert Delpit.