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LE


CENTENAIRE DE HEGEL


EN 1870.




Le centième anniversaire de la naissance de Hegel a passé inaperçu au moment le plus tragique de la guerre actuelle, deux jours avant la catastrophe de Sedan. Au commencement de 1870, l’Europe philosophique s’apprêtait à le célébrer. Les rivalités nationales, aussi bien que les oppositions de systèmes, semblaient s’effacer dans un hommage commun à la mémoire d’un grand esprit. La France n’avait pas répondu la dernière à l’appel de la société philosophique de Berlin pour l’érection d’une statue à Hegel, à l’occasion de son centenaire. Un philosophe qui est loin d’être devenu un hégélien pour avoir beaucoup étudié Hegel, M. Paul Janet, avait pris, parmi nous, l’initiative d’une souscription à laquelle s’étaient associés quelques-uns de nos penseurs les plus éminens. Qu’est-il advenu de la fête préparée ? Nul écho ne nous en est arrivé de cette Allemagne dont les universités et les académies, en même temps que les ateliers et les champs, se sont dépeuplés pour nous envahir, et qui ne semble avoir gardé ses savans que pour leur demander des manifestes injurieux contre nous. C’est d’une tout autre façon que l’Allemagne semble vouloir honorer Hegel, non plus à Berlin, avec le concours pacifique de quelques philosophes étrangers, mais en France et aux frais de la France. Depuis longtemps, l’Allemagne a toutes les ambitions ; mais ce n’étaient guère jusqu’ici que des ambitions idéales, platoniques en quelque sorte. Elle veut aujourd’hui une grandeur solide et matérielle, personnifiée dans un césar, appuyée sur d’immenses armées, incarnée non-seulement dans l’unité, mais dans l’extension indéfinie de son territoire. Or le but qu’elle poursuit par la violence et