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esprit de quelques bataillons factieux. Ils s’en tirèrent à leur honneur, et au milieu de tant d’élémens de trouble ils maintinrent la paix.

Ce n’était pas, à tout prendre, un rôle d’oisifs que le leur. Improvisées et répondant à des besoins qui se produisaient coup sur coup, leurs attributions devaient être des plus élastiques. Un amiral est en effet commandant de place et gardien du rempart dans les limites du secteur où il commande. Il a près de lui, outre son état major, un sous-intendant, un médecin, un ingénieur, un conseil de discipline, un hôpital, une prison, un monde en miniature. La garde nationale reçoit de lui les ordres et les consignes, et lui fait chaque jour un rapport sur l’état des quartiers de la ville qui sont renfermés dans les limites du secteur. De là des communications obligées entre les commandans des secteurs et les autorités civiles et militaires, communications devenues, dans l’effacement de la police, une source d’informations dont le gouverneur de Paris a souvent tiré parti ; mais la portion la plus curieuse du rôle n’est pas là, elle est dans l’ascendant tout à fait original que les amiraux ont pris sur les populations les plus voisines des remparts, sur les habitans des faubourgs, sur les villageois de la banlieue renfermés dans nos lignes, — sur les gardes nationaux. Les marins n’apportent avec eux ni nos préjugés, ni nos habitudes, et sont le plus naturellement du monde familiers avec dignité. Ils se sont emparés sans effort de ceux qui ont eu affaire à eux. Un Parisien a vu des généraux, et il en a pris la mesure ; il est assez rare qu’il ait vu un amiral, il le regarde comme un être curieux, venant de loin ; il en parle avec une sorte d’étonnement mêlé de respect. Aller voir l’amiral ou monsieur le secteur, comme quelques-uns l’appellent, est devenu un plaisir et un honneur. Cette autorité nouvelle, exercée avec une fermeté polie, n’aura pas peu contribué au maintien de l’ordre et à la bonne police du rempart. C’est un trait de circonstance, un service signalé.

Avant le combat, la marine avait donc mis la main à la plupart des détails de la défense ; quand vint le combat, elle n’en déclina pas les périls. On a pu suivre jour par jour dans les bulletins officiels cette chronique militaire déjà chargée de tant de deuils ; nous n’en relèverons qu’un petit nombre d’épisodes fixés sur des renseignemens précis. Ce qu’on peut dire en bloc, c’est que, partout où ils ont été engagés isolément ou en corps mixtes, nos matelots se sont montrés de vigoureux soldats et d’habiles pointeurs. À Bagneux, les maisons qui gênaient le tir du fort de Montrouge ont été détruites sous le feu des Prussiens, et au moment de la retraite les marins du même fort l’ont glorieusement couverte sous la conduite du ca-