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miers jours de siège, dans la période de l’étiage, elle a presque seule contrarié, souvent avec bonheur, les travaux que l’ennemi entreprenait à Sèvres et à Saint-Cloud. La légèreté de la canonnière Farcy lui rendait accessible les bras de la rivière où les batteries flottantes n’auraient pas pu pénétrer, et son énorme canon, porté sur un affût à pivot, allait fouiller sous tous les angles et dans tous les sens les bois où s’embusquaient les grand’gardes et les corps de troupes échelonnés pour l’investissement. Peut-être y a-t-il quelques perfectionnement à introduire encore dans ce nouveau système, par exemple plus de résistance dans le masque qui protège la pièce de canon, et une plus grande stabilité dans la construction de la nef qui le porte ; mais il n’en reste pas moins acquis à l’inventeur d’avoir tenté et osé quelque chose dans un temps où, par une invincible force d’inertie, la routine garde presque toujours le dernier mot.

C’est encore à nos marins qu’appartiennent l’idée et les moyens d’exécution d’un service spécial dont chacun a pu remarquer les appareils extérieurs, et dont il est aisé de comprendre l’utilité. On avait, au début du siège, supposé que l’ennemi, choisissant un ou plusieurs points d’attaque, y procéderait par des approches régulières et tenterait de les enlever de vive force. L’entreprise lui a-t-elle paru trop difficile ? N’a-t-il pu réunir et amener jusqu’à nous un matériel suffisant ? On ne saurait le dire. Toujours est-il que les précautions avaient été prises dès le premier jour. Or dans la défense, les communications télégraphiques jouent un rôle capital. Nous pouvions être coupés à Paris de quelques-uns de nos postes essentiels, de Saint-Denis par exemple, de Saint-Ouen, du Mont-Valérien. Comment y obvier ? Cela s’est fait, grâce à la marine, de la manière la plus simple. Sur chaque fort, au point le plus élevé de chaque section de l’enceinte, sur les principaux monumens de Paris, l’Arc-de-Triomphe, l’Opéra, la tour Solferino, Saint-Sulpice, le Panthéon, le ministère de la marine, des postes sémaphoriques furent établis. Chaque catégorie de matelots y contribua. Un mât léger fut dressé par les charpentiers, gréé par les gabiers ; les timoniers y passèrent leurs drisses. Au pied fut installé un coffre télégraphique renfermant les dix pavillons et les quatre flammes à l’aide desquels se signalent tous les numéros correspondant aux huit mille mots du Dictionnaire de télégraphie maritime, et le service se trouva organisé. Ces postes sont au nombre de cinquante, et près de 250 matelots timoniers y veillent constamment pour transmettre les signaux. La nuit, l’appareil Godard, composé d’une lampe au pétrole avec un réflecteur puissant de deux écrans dont un en verre rouge, se levant et s’abaissant aisément, permet de correspondre de points éloignés, souvent de tout le diamètre de Paris.