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casions de s’associer aux impressions et aux passions de la foule ! La marine s’en est constamment défendue ; elle avait un meilleur exemple à donner, et elle n’y a pas manqué, celui de montrer et de maintenir dans Paris, au milieu de corps turbulens et disparates, un corps vraiment organisé et discipliné, plein de sève et d’entrain, ne sacrifiant la règle ni à un besoin d’agitation, ni à un instinct de curiosité. Du premier au dernier jour, elle a gardé ce rôle et contribué ainsi pour sa part à donner aux cœurs plus de trempe, à l’esprit public un ton plus ferme.

Cependant ses travaux réguliers suivaient leur cours. Le génie, comme maître de la maison, y avait naturellement sa place, et en temps ordinaire les conflits d’attributions s’en fussent mêlés. Cette fois le concert fut facile. Pour la marine, le fort était et restait un vaisseau ; les hommes, une fois embarqués, s’appliquaient à le mettre en état et à l’approprier en tout au service, comme au début d’une campagne. Dans les premiers jours seulement, le génie, l’artillerie et les auxiliaires de ces corps, en nombre presque insignifiant, donnaient leurs instructions, et tout s’exécutait en conformité, rapidement et exactement. Le pli une fois pris, tout alla de soi ; la règle était sauve, les qualités des parties étaient reconnues. L’exécution restait dès lors largement à la marine ; elle eut ses coudées franches, elle en usa. Les hommes et les officiers furent répartis sur les bastions et les courtines comme dans les batteries d’un vaisseau, les canonniers aux pièces, les fusiliers et les fantassins aux postes de mousqueterie. Chaque chef de batterie tint à honneur d’avoir le bastion le mieux tenu, le plus vite prêt ; chaque matelot y mit son amour-propre. Tous ces travaux furent à la lettre enlevés ; parfois les marins trouvèrent des auxiliaires inattendus, notamment au fort de Bicètre. Pendant six semaines, M. Milne Edwards, malgré son âge, mit la main aux terrassement avec soixante travailleurs volontaires employés au Muséum et au Collège de France. Il faut avoir assisté à la transformation rapide et complète des divers forts pour s’en faire une idée. À Ivry, un réseau de cheminement drainés et sablés offrait une promenade à l’abri de toute atteinte. D’un bastion à l’autre, les dispositions variaient ; ici on s’en tenait à l’utile, là on sacrifiait à l’agrément ; dans quelques-uns, des massifs de fleurs figuraient près des canons, ailleurs c’étaient des corbeilles, des bancs, des observatoires. Et au milieu de ces soins, pas un exercice n’était négligé : partout la moitié des marins était à la manœuvre pendant que l’autre moitié était au travail. Dans l’histoire du siège, ce fait reste acquis à la marine, ses forts ont été les premiers prêts, les mieux armés et les plus proprement tenus. Commandans en chef, officiers d’état-major, renché-