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LA POLITIQUE D’ENVAHISSEMENT.

Son vrai but ne fut pas l’agrandissement territorial du pays. L’Artois et le Roussillon, enlevés légitimement à l’Espagne, une partie de l’Alsace acquise avec le consentement formel de l’Allemagne, offerte même par celle-ci, ne prouvent pas qu’il visât aux conquêtes et à la gloire militaire. Son ambition fut bien plutôt de fonder la grandeur du pays par l’ordre intérieur, par le commerce, par l’élévation progressive des classes inférieures, par le développement du travail matériel et intellectuel. Ce fut là son but et sa gloire. Loin de représenter l’esprit de conquête, Richelieu représente l’esprit d’ordre et de travail aux prises avec toutes les nécessités de la guerre. Louvois au contraire, venu dans un temps de paix, a cru que la grandeur de son roi et de son pays devait consister dans l’accroissement du territoire et dans la gloire militaire. Sa seule politique a été la politique d’envahissement, et c’est vers ce seul objet qu’il a porté ses propres efforts, l’attention de son roi et les forces mêmes de la France. Mieux que personne au xviie siècle, il représente l’esprit de conquête refoulant l’esprit de travail et de paix. Ce n’est donc pas Richelieu, c’est Louvois qu’il faut mettre en regard du ministre prussien.

I.

Au moment où Louvois arrivait aux affaires, la France jouissait de la paix et désirait la conserver. Notre nation n’a jamais été aussi belliqueuse que ses ennemis se sont plu à le dire. Au début du règne de Louis XIV le sentiment général était l’horreur de la guerre. Les cent dernières années avaient été remplies par des luttes de toute nature, et le souvenir en était odieux au pays. On n’aimait à se rappeler de toute cette période que le règne trop court de Henri IV qui avait été comme une éclaircie dans ce long orage ; or Henri IV dans l’imagination de la France, était devenu Henri le Grand, non pas pour les victoires qu’il avait remportées, mais pour les quinze années de paix qu’il avait données au pays. La génération suivante, dans toute l’Europe, avait été livrée à toutes les fureurs de la guerre. Les traités de Westphalie et des Pyrénées avaient marqué le terme de ces horribles luttes, et la France revenait enfin à la paix. La joie en était universelle, et si le règne de Louis XIV à son début fut salué par un immense enthousiasme, c’est parce qu’il eut la bonne fortune de coïncider avec cette ère de paix et parce qu’il s’annonça comme un règne pacifique.

Pendant plusieurs années, rien ne fit prévoir que Louis XIV aimerait la guerre. Il ne s’occupait que d’administration, de finances, de justice, de commerce. Dans ses ordonnances, il aimait à vanter les bienfaits de la paix. Il écrivait en 1665 : « L’affection que nous