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persévérant toujours et finissant par triompher. Leur secret fut bien simple : toujours combattre et ne désespérer jamais. Que de fois ils se sont vus perdus sans douter de leur cause, espérant mieux, luttant toujours, supportant les rechutes comme les premiers désastres, avec la même confiance, la même résolution ! Leur force était de croire et de se dire sans cesse que la Providence était juste et que leur cause l’était aussi, que Dieu pouvait les éprouver, qu’il ne pouvait pas les détruire ; qu’il devait vouloir au contraire que leur pays, créé par lui pour être le refuge, le libre et puissant asile de tous les opprimés, une fois purifié, amélioré par le malheur, se relevât plus grand et plus prospère dans un nouvel et saint éclat. Voilà les convictions qui ont soutenu leur courage. Est-ce donc un privilège qui n’appartint qu’à eux ? n’avons-nous pas le droit de nous dire, nous aussi, que cette même Providence nous a donné notre mission, et qui de nous peut la croire terminée ? L’esprit conquérant et barbare, l’esprit de despotisme et d’oppression, de ruse et de mensonge armé, ne menace-t-il pas l’Europe, et pour l’en garantir Dieu n’a-t-il pas besoin de nous ? N’est-ce pas notre éternel mot d’ordre, — cette noble Amérique en sait bien quelque chose, — que de porter secours aux autres et de combattre en généreux champions pour la justice et pour la liberté ? Cette mission vraiment divine, toujours nous y serons fidèles, et quand nous nous serons sauvés, on nous verra, soyez-en sûr, si notre cœur nous le commande, plus d’une fois encore porter au loin quelque utile assistance même à ceux-là peut-être qui dans notre détresse nous abandonnent et nous oublient le plus.

Ceci me fait penser que dans ces derniers temps, par une de ces rares fortunes qui quelquefois nous laissent entrevoir ce qui se passe hors de nos murs, nous avions appris tout à coup que dans le ciel de l’Europe une éclaircie venait de se produire, non pas à notre intention, mais dont peut-être nous pouvions profiter. Que sera devenue cette orageuse affaire ? quel cours aura-t-elle pris ? Vous vous souvenez des colères du Times et de la découverte ingénue que le protocole moscovite lui avait subitement inspirée, il s’était aperçu, en faisant mieux son compte et tout examiné, que nous pouvions bien n’être pas encore morts et lui servir une seconde fois d’auxiliaires et de soldats pour mettre le czar à la raison. M. de Bismarck se sera hâté sans doute de réparer l’imprudente incartade de son allié du nord ; l’aura-t-il supplié de mettre des sourdines à ses hardis projets, de lui laisser, pendant qu’il nous assiégé et qu’il a nos armées sur les bras, le bénéfice des bons rapports et des procédés de famille dont le gratifie l’Angleterre ? Qu’aura dit la fierté du czar ? se sera-t-elle accommodée d’un replâtrage et d’un atermoiement ? Sur tout cela que dire, que penser ? Pas l’ombre d’une information, pas la moindre donnée, de pures conjectures reposant sur le vide ! Je ne vois qu’une chose claire, c’est que M. de Bismarck a trouvé très