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nécessaire. C’est la décadence de la république de faction finissant peu glorieusement, et c’est une victoire pour la vraie république du patriotisme et de la liberté.

Cette crise où nous sommes engagés, si douloureuse qu’elle soit, nous aura été utile sous plus d’un rapport ; elle aura fait justice de bien des élémens impurs, de bien des excitations vaines, et elle aura montré aussi ce qu’il y a de ressources, de vitalité, de saine énergie dans cette société française si souvent condamnée par nos ennemis. Vous venez de voir dans les derniers combats ces trois magistrats, simples engagés volontaires, faisant intrépidement leur devoir, et l’un d’eux, père de famille, pouvant signer de cette double qualité où se révélé ce qu’il y a d’extraordinaire dans la crise que nous traversons, avocat-général à la cour d’Alger et soldat de 2e classe. Vous avez vu périr l’autre jour et ce jeune Bayard de La Vingtrie, qui est allé affronter la mort dans une reconnaissance aventureuse, et ce vaillant commandant des éclaireurs parisiens, M. Franchetti, et ce chef éprouvé de nos soldats, le général Renault, et ce diplomate d’hier transformé en chef de bataillon de mobiles, M. le baron Saillard. Combien d’autres sont morts, jeunes ou vieux, enfans de tous les rangs, la plupart ignorés, et se rencontrant dans la même épreuve de patriotique abnégation ! Non, décidément nous ne savons pas s’il faut en vouloir à M. de Bismarck, il nous a rendu service plus qu’il ne le croit, il a réveillé dans la société française tous les sentimens généreux et virils. Dans les premiers jours de cette triste lutte, il a eu affaire à une nation longtemps gâtée par la fortune, étourdie par des surprises inouïes, et livrée en quelque sorte par ceux qui auraient dû la sauver. Maintenant il a devant lui une nation éprouvée, retrempée dans le malheur, qui ne puise qu’en elle-même, dans ses inspirations les plus intimes, son courage et sa force. C’est aujourd’hui que la lutte peut devenir grave pour l’Allemagne, engagée dans ce duel dénaturé contre le droit et la liberté d’un peuple.

CH. DE MAZADE.