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année de ses pacifiques délibérations l’assemblée constituante fut sur le point de lancer le pays dans les hasards des batailles. Il tint à bien peu que la voix du canon ne vînt se mêler aux éclats de l’éloquence de Mirabeau dans la discussion sur le droit de paix et de guerre. Ce mémorable débat est le dernier mot de la question au XVIIIe siècle. Les utopies étaient-elles entièrement oubliées ? Non, et Barnave croyait encore, comme Rousseau, qu’enlever au pouvoir exécutif le droit de déclarer la guerre, c’était la supprimer. Mirabeau osa dire à la tribune que les nations ne sont pas moins guerrières que les rois ; il ajouterait aujourd’hui qu’elles ne sont pas moins impitoyables quand on les mène avec des sophismes, quand on les fanatise par un faux semblant de gloire ou de prépondérance.

Tel est justement l’ennemi que nous avons devant nous. Il est plus que temps de secouer les beaux rêves pour voir la sinistre réalité qu’ils nous cachaient. La philosophie n’est plus de saison, ou plutôt sa leçon doit se confondre désormais avec celle du patriotisme. Publicistes, philosophes, écrivains de toute sorte, ont maudit cette fureur des armes qui fait de la société humaine une mêlée sanglante. Pour la conjurer, ils ont employé tous les moyens : ils se sont adressés tour à tour à l’humanité des rois, au bon sens des peuples, à l’expérience des hommes d’état ; mais le jour où ils ont vu que l’humanité, le bon sens, l’expérience, sont des barrières insuffisantes, le jour où la nation qui avait été la première à jeter au milieu de l’Europe le cri du poète, « la paix ! la paix ! » le jour où la France a montré à ses enfans ses plaies saignantes, tous, philosophes et soldats, hommes pratiques et publicistes méditatifs, se sont pressés autour d’elle. Aujourd’hui, devant une invasion comme les temps barbares même n’en connurent jamais de pareille, devant cette explosion sauvage d’une haine qu’on eût pu croire éteinte, et qui n’était que cachée sous les dehors d’une fausse amitié presque séculaire, que diraient, que feraient ces généreux idéalistes de paix et de concorde ? Combien ils rejetteraient au loin leurs belles théories dont la France s’est laissé trop aisément bercer, et combien ils regretteraient d’avoir voulu nous désapprendre la guerre en présence d’un ennemi qui ne nous laisse plus désormais aucune autre voie de salut que la guerre, la guerre à outrance !


LOUIS ÉTIENNE.