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L'IDEE
DE LA GUERRE
AU DIX-HUITIEME SIECLE

Peu de siècles furent désolés d’autant de guerres générales que le XVIIIe. Si l’on y comprend les dernières luttes de Louis XIV contre ses ennemis coalisés et les combats héroïques de la république française contre l’Europe entière, ce sont des hécatombes perpétuelles de victimes humaines, c’est une horrible saignée qui recommence toujours. Cependant peu de siècles ont été plus ennemis de la guerre. Jusque-là, le sentiment de l’humanité se révoltait de loin en loin dans l’excès des souffrances ; des voix isolées que la pitié faisait éloquentes criaient seules à un vainqueur sans entrailles : « Assez ! assez ! » Les poètes surtout se chargeaient de maudire le fléau qui pousse les hommes à se détruire, et prêtaient aux douleurs maternelles, les plus profondes de toutes, l’écho touchant de leurs vers, bellu matribus detestata. Au siècle dernier, tous les philosophes, presque tous les écrivains, furent les avocats de la paix, lis plaidèrent cette cause non pas seulement dans quelques strophes plus ou moins poétiques, dans quelques pages d’un beau style ; pour la première fois, il y eut des traités sur la guerre avec un autre but que celui de l’enseigner. On écrivit méthodiquement, on raisonna, on composa des chapitres de morale, on rédigea des articles de dictionnaire et d’encyclopédie, pour désarmer les rois et les