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famille d’ouvriers, et il était venu à Paris en 1532 se placer comme apprenti chez un barbier qui lui avait appris à faire la barbe, peigner, fabriquer des lancettes et panser des ulcères. Après trois années passées à l’Hôtel-Dieu, il avait été reçu lui-même chirurgien-barbier, grâce à un examen sur le faict de la cognition et curation des clouds, bosses, antrax et charbons ; puis à dix-neuf ans il était parti pour la guerre, dans l’armée levée par François Ier contre Charles-Quint après la rupture de la paix de Cambrai. Le maréchal de Monte-Jan, colonel-général de l’infanterie française, l’avait attaché à sa personne et emmené en Italie, où il demeura trois ans au milieu des armées. C’est après avoir suivi dans une seconde campagne aux Pyrénées le vicomte de Rohan qu’il publiait, à vingt-neuf ans, son petit traité qui marquait, comme je l’ai dit, le réveil de la chirurgie française et le commencement de la chirurgie militaire, transformée à la fois et dans ses procédés techniques et comme service d’humanité.

Peu d’années auparavant, un médecin né à Bruxelles et qui devait illustrer l’université de Padoue était parti avec l’armée de Charles-Quint, et peut-être se trouva-t-il en face de Paré. Plus instruit, aussi laborieux, aussi religieux, André Vesale, premier médecin de l’empereur, fut surtout le premier médecin du XVIe siècle, rival de gloire et de génie de son célèbre contemporain. Tous les deux ont été donnés à la science par la médecine des armées.

La chirurgie de guerre avait été jusqu’à Ambroise Paré un véritable procédé de torture. On cautérisait les plaies simples avec de l’huile bouillante, et on cautérisait aussi avec un fer rouge les membres amputés. Paré raconte, dans son Livre des playes d’harquebute, comment, après l’affaire du Pas-de-Suse, il regardait faire les autres chirurgiens, ne songeant qu’à les imiter de son mieux. L’huile bouillante ayant manqué pour cautériser toutes les blessures, l’inquiétude l’empêcha de dormir à son aise ; mais le lendemain il s’aperçut que les blessés cautérisés étaient plus malades que les autres, et il eut la hardiesse d’abandonner et de combattre une pratique généralement admise. Dans la campagne de 1551, au siège de Damvilliers, il tenta d’amputer une jambe en opérant les ligatures sans aucune application de fer rouge, et le malade fut sauvé. Ingénieux et hardi, il avait eu l’idée, pour extraire une balle reçue dans l’épaule par le maréchal de Brissac, de mettre le blessé dans la position où il était lorsqu’il avait reçu le coup, et c’est lui qui en 1545, au siège de Boulogne, arracha le tronçon de lance de la figure du duc de Guise, surnommé depuis le Balafré, sans autre instrument que les tenailles d’un maréchal et en demandant au prince la permission de lui tenir le pied contre le visage pour avoir plus