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l’histoire et éclairés de son plein jour ; Empédocle au contraire, comme un autre Pythagore, ne se laisse entrevoir qu’à travers le nuage doré de la légende. Dès le temps d’Aristote, de Théophraste et de Timée, qui avaient écrit sa biographie, tant de fables s’étaient attachées à son nom qu’il était déjà bien difficile d’en dégager les quelques faits authentiques qui s’y trouvaient mêlés. Ce que prouvent tous ces récits, c’est la profonde impression que le génie et la science d’Empédocle avaient produite sur ses compatriotes ; moins initiés que les Ioniens aux recherches fécondes des physiciens demeurés plus simples, plus religieux, plus crédules, les Doriens de Sicile avaient vu des prodiges dans les grands travaux publics qui, sur le conseil d’Empédocle, avaient transformé les environs de Sélinonte et d’Agrigente. Des cures heureuses opérées par lui au milieu de gens encore étrangers à toute notion de thérapeutique n’avaient pas moins frappé les esprits. C’était donc pour le peuple un magicien ; on lui prêtait le don des miracles. La vérité est qu’Empédocle, par ses études et ses méditations, était arrivé à déterminer certaines lois naturelles, à en pressentir et à en deviner d’autres : ainsi son hypothèse sur l’origine des montagnes par l’action d’un foyer interne semble avoir été comme une première ébauche de la célèbre théorie moderne qu’a fait prévaloir M. Élie de Beaumont. On ne sait pas s’il avait exposé un système de politique ; mais l’influence qu’il exerce sur les cités doriennes de Sicile nous donne une aussi haute idée de son caractère que de son intelligence. Ennemi de la tyrannie, il ne veut pas pour lui-même du pouvoir que lui aurait volontiers déféré le respect universel ; en même temps il se préserve d’une erreur vers laquelle ont de tout temps incliné les idéalistes, et où est tombée presque toute l’école socratique : il ne rêve pas une oligarchie entre les mains de qui seraient concentrées toute richesse, toute sagesse et toute autorité. Bien au contraire, il délivre Agrigente de l’aristocratie des mille, et concourt à y substituer une démocratie modérée. Un char magnifique, traîné par quatre mules, l’amenait, raconte-t-on, sur la place publique, et là, par l’ascendant de sa parole grave, mesurée, qui retentissait au milieu du silence, il calmait les âmes et y rétablissait l’harmonie qu’avaient troublée les haines de parti. Lorsqu’en 444 presque toutes les tribus helléniques se concertent pour fonder Thurium sur l’emplacement de Sybaris détruite, Empédocle s’associe par sa présence à l’entreprise ; peut-être contribua-t-il à régler la constitution de la cité nouvelle, qui comptait l’historien Hérodote parmi ses premiers habitans.

Des renseignemens de valeur très inégale attribuent à Empédocle une part dans l’invention et les premiers progrès de la