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esprit la contemplation de cette substance unique et immuable qui seule existe et seule fait la matière de la science, Xénophane et Parménide, qui l’un et l’autre, à ce qu’il semble, n’écrivirent qu’en vers, trouvèrent des images d’une beauté et d’une hardiesse singulières ; les quelques fragmens qui nous en restent nous donnent la plus haute idée de la sincérité de leur enthousiasme et de la puissance de leur génie. A en juger d’après ses rares débris, le poème de Parménide, intitulé, suivant l’usage, De la nature, est une des pertes les plus regrettables que nous ayons faites dans le grand naufrage de l’antiquité.

Dans la doctrine des éléates, comme dans tout système analogue, la difficulté, c’était de redescendre de cette idée de l’être, qui, prise dans toute sa rigueur, exclut le devenir et le périr ; c’était de revenir à cette nature phénoménale dont la réalité peut être niée par la théorie, mais s’impose à nous dans la pratique. Dans la seconde partie de son poème, Parménide avait cherché à rapprocher autant que possible l’opinion, qui ne se fonde que sur les impressions des sens, du savoir vrai, qui a sa source dans la raison ; mais, pas plus qu’aucun autre métaphysicien, il n’avait dû réussir à résoudre un problème qui, par la manière même dont il est posé, est et restera toujours insoluble. Ce fut donc sur ce point que durent porter surtout les objections des adversaires. Afin de soutenir la lutte, les disciples du maître, Mélissos de Samos et Zenon d’Élée, imaginèrent de prendre l’offensive ; en partant de la doctrine de l’un et tout, c’est-à-dire de l’unité absolue, ils cherchèrent à démontrer à quelles absurdités et à quelles contradictions aboutissaient les idées de variété et de mouvement. Sans songer que l’on eût pu retourner leur thèse, ils dépensèrent dans cet effort une sagacité et une subtilité qui firent l’admiration de leurs contemporains. La poésie se serait mal prêtée à ce travail de discussion et de négation ; l’un et l’autre écrivirent en prose ionienne. Zénon surtout acquit une grande réputation, à laquelle mit le dernier sceau le’ séjour prolongé qu’il fit en plusieurs fois à Athènes. On innove peu en métaphysique ; il est plus d’un argument de Zénon que les sceptiques et les idéalistes modernes se sont bornés à reproduire en en rajeunissant légèrement l’apparence et le tour.

Une partie tout au moins des écrits de Zénon paraît avoir eu déjà cette forme du dialogue dont se serviront au siècle suivant tous les socratiques ; en tout cas, il excellait dans la controverse orale. C’est ce qui attirait autour de lui, pendant les divers séjours qu’il fit à Athènes, à la fois les spéculatifs curieux de métaphysique, comme Socrate, et les politiques, comme Callias et Périclès, désireux de s’assouplir l’esprit en cette sorte de gymnastique intellectuelle. On