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Il avait pourtant pris déjà, sous la plume de Platon, un sens plus spécial ; le philosophe l’avait réservé pour des gens qui n’étaient, selon lui, que de faux savans et de faux sages, et cette nuance méprisante est devenue plus marquée encore quand le mot a passé dans notre langue. La suite de cette étude montrera jusqu’à quel point sont justifiées les attaques de Platon ; cependant, tout en faisant d’avance des réserves à ce sujet, je ne m’en conformerai pas moins à l’usage, et je désignerai sous ce titre le groupe dont Gorgias est le plus brillant et le plus célèbre représentant.


I

On connaît le mythe charmant de la nymphe Aréthuse et de l’Alphée, son amant malheureux. La claire fontaine de Syracuse et le beau fleuve arcadien, séparés par l’espace, allaient, nous disent les poètes, au-devant l’un de l’autre sous les flots de la mer d’Ionie, et finissaient par mêler leur onde. Sous cette aimable légende se cache une vérité historique. De toutes les villes grecques de la Sicile, ce fut Syracuse qui sut conserver avec la mère-patrie les rapports les plus étroits, qui se mêla le plus à ses affaires, qui s’associa le mieux à ses efforts et à ses travaux dans l’ordre des choses de l’esprit. Sélinonte tomba de bonne heure sous l’influence carthaginoise ; sans les intéressans débris de ses édifices, on n’en saurait plus aujourd’hui que le nom. Agrigente a plus fait : elle ne figure pas seulement par ses belles ruines dans l’histoire des arts plastiques, elle est la patrie de cet Empédocle dont la gloire égala presque celle de Pythagore ; mais Syracuse a été bien autrement féconde. Ne parlons pas des encouragemens accordés aux poètes par ses princes, les Gélon et les Hiéron ; ces faveurs coûtent presque toujours quelque chose à la dignité des écrivains, le génie y perd plus qu’il n’y gagne. Ce qui est incontestable, c’est la part prise par Syracuse à l’élaboration de la prose grecque ; c’est que plus tard Syracuse donne à la Grèce vieillissante son dernier grand poète, Théocrite, et son plus illustre mathématicien, Archimède.

Après la mort de Hiéron, ce souverain intelligent et magnifique, mais soupçonneux et cruel, qu’avaient chanté Pindare, Simonide, Épicharme et Bacchylide, la tyrannie avait été, vers 465, abolie à Syracuse, et toutes les cités de l’île avaient suivi l’exemple que leur offrait une ville dont déjà elles avaient appris à reconnaître la prépondérance. Partout les despotes, qui ne pouvaient plus s’appuyer sur les princes syracusains, avaient été chassés ou s’étaient retirés avec leurs mercenaires, et on avait établi des gouvernemens plus ou moins démocratiques. Nous manquons de détails sur toutes ces