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l’hydrogène pur. L’aérostat et tous ses agrès, filet, cordages, etc., seront construits en soie, substance qui offre le plus d’homogénéité et de résistance. Le taffetas sera renforcé par une étoffe en coton, et les deux étoffes seront séparées par sept couches de caoutchouc, pour empêcher autant que faire se pourra la déperdition de l’hydrogène, qui, très léger, et partant très expansible, a une tendance des plus prononcées à se dégager des pores de l’enveloppe. Il a fallu à l’inventeur beaucoup de temps et de peine, vu le blocus de Paris, pour réunir une quantité suffisante de taffetas présentant partout la même résistance au déchirement, l’étoffe fût-elle, sur quelques échantillons, de couleurs différentes. La plus grande longueur du ballon est de 36m,20, et le volume de la poche de dilatation ou ballon intérieur de 450 mètres cubes, moyennant quoi le ballon peut enlever neuf hommes, dont six pour la manœuvre, et porter environ 200 kilos de dépêches, avec 400 de lest, non compris le poids de la nacelle, du treuil, du ventilateur, de l’hélice, de l’ancre, etc.

Tel est l’ensemble des dispositions, telles sont les conditions de navigabilité aérienne de l’un des appareils aérostatiques qui se construisent en ce moment. L’expérience aura bientôt prononcé sur ce nouvel emploi de l’hélice, et dira ce qu’il faut penser de la possibilité d’application du système imaginé par M. Dupuy de Lôme. On ne doit pas oublier toutefois que dès 1852 un ingénieur, peut-être moins connu, mais à qui les applications de la mécanique sont loin d’être étrangères, M. Giffard, mettait également en jeu un aérostat susceptible d’être dirigé. Dès cette époque, M Giffard s’élevait courageusement dans l’air avec une machine à vapeur de trois chevaux. Il restait une heure en voyage, et avec sa machine, chauffée à la houille et munie d’une chaudière, il imprimait à volonté divers mouvemens à l’hélice et à la voile-gouvernail de son ballon. Il inaugurait ainsi, l’un des premiers, le premier peut-être, la véritable mise en pratique de la navigation aérienne. De ce jour, on pouvait dire qu’un premier pas était fait, et que l’on commençait à passer, dans l’aéronautique, du rêve à la réalité. Peut-on en conclure que le problème soit sur le point d’être résolu, et que demain l’on va se diriger à volonté dans l’air ? On n’oserait l’affirmer, car, même avec le navire aérien de M. Dupuy de Lôme, on voit combien la vitesse de translation sera faible, et combien sera limité l’angle ou secteur dans lequel on pourra se mouvoir ; mais dans ces termes mêmes, si l’expérience, faite cette fois avec toutes les garanties d’une science éprouvée, confirme les calculs de l’inventeur, un réel progrès aura été réalisé, un grand service aura été rendu au pays d’abord, ensuite à l’humanité.


L. SIMONIN.