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continuer en s’aggravant, de sorte que, lorsque le 2 décembre éclatait, il se trouvait tout à la fois exilé de la vie publique, déçu dans ses espérances, vieilli, réduit à ce rôle de manœuvre de la plume qui a été sa dernière épreuve en ce monde. Alors commençait cette vieillesse sombre, morose, amère, qui mettait encore dix-huit ans à s’acheminer vers la mort à travers toutes ces histoires, ces entretiens, ces journaux de déclin où il ne restait plus, comme une dernière marque du génie d’autrefois, que cette intarissable et harmonieuse parole qui s’est épanchée jusqu’au bout sans s’arrêter. De tous les hommes qui avaient vécu, qui s’étaient confondus en Lamartine, quel est celui qui survivait encore ? Le poète avait disparu, l’historien était épuisé ; l’homme heureux, l’homme heureux surtout, était mort depuis longtemps. Le politique n’avait plus de raison d’être dans les conditions nouvelles où était la France, et peut-être avait-il fini par avoir de singuliers doutes. Il ne restait en vérité qu’un Belisaire de la politique et de l’art tendant le casque devant ses contemporains attristés, faisant souffrir l’admiration sans la décourager encore, imposant à son siècle ce cruel spectacle de l’auteur des Méditations, de l’auteur des Girondins, d’un chef de révolution recevant toutes les oboles, même celles qui devaient peser à sa fierté. Lamartine n’était plus qu’une ruine vivante assise sur la ruine de ses espérances, de ses grandeurs et de ses gloires. — N’importe, il a eu sa destinée éclatante. Aucun homme n’a remué plus d’âmes, aucun n’a parlé avec plus de puissance à l’imagination de ses contemporains, — et cet homme a eu son jour, un jour unique, exceptionnel, où il a personnifié son pays, où, poète et politique à la fois, il a laissé le reflet de son génie sur ce nom de république qui reparaît dans notre histoire.

Oui sans doute, ce jour d’une grande existence, surtout quand on le rapproche de bien d’autres jours qui l’ont suivi et qui en relèvent la signification, ce jour est un éternel enseignement pour ceux qui veulent fonder la république en France. 1848 secoue ses cendres éteintes, et se redresse pour parler à 1870. Remarquez en effet cet étrange phénomène. Le moment où la république de 1848 est le mieux acceptée, où elle a le plus de chances de s’établir et de vivre, c’est évidemment celui où un homme se fait en quelque sorte auprès du pays le plénipotentiaire ou le garant des institutions nouvelles en les popularisant par le génie, par l’éloquence et par la modération, en les défendant de leurs excès, en les représentant comme la sauvegarde naturelle de tous les droits, de toutes les libertés et de tous les intérêts. Bientôt les manifestations commencent dans les rues, et déjà il y a une inquiétude, un ébranlement dans l’opinion. Les passions révolutionnaires grandissent, les fanatismes de parti et de secte se dévoilent, les factions ne cachent plus