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vides causés par le changement des conditions d’existence, il alimente aussi la mortalité en amenant sans cesse des recrues à cette bataille contre le milieu. Les enfans mouraient en nombre presque double de celui qu’accusaient nos statistiques françaises ; la proportion des morts était pourtant beaucoup moins forte que dans le cas cité des premières oies importées à Bogota. Enfin, loin d’avoir faibli, la fécondité des femmes s’était accrue[1]. Les sources de la vie étaient donc bien moins atteintes ici que sur les hauts plateaux américains. De cet ensemble de considérations, je crus pouvoir conclure avec certitude que l’acclimatation des Français en Algérie était assurée et ne demanderait pas vingt générations. L’événement m’a donné raison bien plus tôt que je ne l’espérais. Le dernier recensement quinquennal fait en Algérie a indiqué dans la population d’origine européenne un accroissement de 25,000 âmes, dû presque en entier à l’excédant du chiffre des naissances sur celui des décès. L’action de la première génération née sur place commence à se faire sentir. Encore deux ou trois générations, et le Français créole vivra en Algérie tout comme ses ancêtres ont vécu en France.

Il y a d’ailleurs des distinctions à établir, au point de vue de la facilité de l’acclimatation en Algérie, entre les diverses races européennes, entre les habitans du nord et du midi de la France. Les statistiques recueillies par MM. Boudin, Martin et Foley ont clairement démontré que les Espagnols et les Maltais résistent au climat algérien infiniment mieux que les Anglais, les Belges et les Allemands. Or nos compatriotes du nord ont avec ces dernières populations les plus grandes ressemblances de race et d’habitat. Sous ce double rapport, les Français du midi se rapprochent au contraire des habitans de Malte et de l’Espagne. On pouvait donc, sans grand danger d’erreur, prédire que ces derniers avaient plus de chance de survie, soit pour eux-mêmes, soit pour leurs descendans, que les Français d’origine alsacienne ou flamande. L’expérience a encore pleinement confirmé ces déductions de la théorie.

Les enseignemens qui découlent de ces faits accomplis pour ainsi dire à nos portes et chez des races fort voisines peuvent certainement s’appliquer à des régions éloignées, à des milieux très divers et plus tranchés, à des groupes humains bien autrement distincts l’un de l’autre que ne le sont les Français et les Belges. Néanmoins la conclusion qu’on pourrait en tirer n’aurait d’autre valeur que celle d’une formule générale dont la signification change avec les données. Quand il s’agit d’acclimatation, ces données ressortent toujours des deux élémens indiqués plus haut, la race et le milieu. Que

  1. Des faits pareils se produisent en Australie. Là aussi la fécondité des femmes est remarquablement accrue, mais est contre-balancée en partie par la mortalité des enfans.