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était encore dans l’éclat de sa popularité, qu’il portait intacte devant l’assemblée constituante. A l’une des premières séances, au moment où il venait de lire un exposé de la situation de la France, trois fois les applaudissemens l’arrachaient de son banc, et semblaient aller au-devant de sa pensée en lui offrant pour ainsi dire d’être le premier chef de la république nouvelle. S’il avait voulu, il n’avait qu’à faire un geste ; il le croyait lui-même, et c’était vrai. Quelques jours après, tout était changé. Que s’était-il donc passé ? Il y avait eu une de ces péripéties qui décident de la fortune d’un homme public. Lorsque l’assemblée avait eu à se prononcer sur l’organisation d’un pouvoir exécutif et sur le choix des hommes qui composeraient ce pouvoir, Lamartine avait insisté pour la formation d’une commission exécutive de cinq membres, et il tenait visiblement à ne point se séparer de M. Ledru-Rollin, à perpétuer dans la commission nouvelle la solidarité du gouvernement provisoire. Aussitôt un refroidissement d’opinion se manifestait autour de son nom ; c’était comme une déception soudaine, et celui qui peu auparavant aurait pu être le seul chef, le président acclamé de la république, ne venait plus que le quatrième, immédiatement avant M. Ledru-Rollin, sur la liste des membres élus de la commission exécutive si péniblement acceptée par l’assemblée. On le punissait d’une alliance imposée, lourde au sentiment public, par ce qu’il a lui-même appelé son « impopularité commençante. »

Lamartine sans doute avait passé par de violentes anxiétés d’esprit avant d’en venir là. Il s’était dit, et il a répété depuis pour expliquer ses résolutions, qu’il ne devait pas scinder la république à sa naissance, qu’en acceptant l’autorité directrice pour lui seul il se plaçait dans l’alternative d’avoir contre lui les républicains de toutes nuances, s’il voulait suivre l’assemblée nouvelle jusqu’au bout dans ses tendances visiblement réactionnaires, ou de se trouver en lutte avec l’assemblée, s’il associait des républicains à son pouvoir. Que pouvait-il sortir de là ? Des conflits inévitables, des chocs sanglans, des mêlées de faction, avant que la constitution fût faite, avant que le pays eût repris son équilibre dans la république définitivement organisée. La guerre civile pouvait naître d’une démarcation des partis trop promptement dessinée ; de la guerre civile pouvait sortir soit une dictature de sédition, soit une dictature de réaction. Celui qui avait proclamé une république de nécessité le 24 février, et qui voyait encore en elle le seul refuge de la France, ne serait-il pas conduit fatalement à devenir un Cromwell ou un Monck, à moins d’être englouti sans profit et sans gloire ? Voilà les perspectives qui faisaient reculer Lamartine devant la rupture de l’alliance républicaine, et en présence desquelles il se livrait à des monologues à la façon d’Hamlet. Il y avait, il est vrai, pour lui un autre