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quart de ses départemens, vous imaginez-vous la France procédant à ses élections ! Pas une explication possible, pas un éclaircissement arrivant juste à point ! de continuels malentendus, la confusion, le chaos ! Il est vrai que M. de Bismarck daigne nous dire que dans ce cas il ferait le bon prince, qu’il fermerait les yeux, et qu’électeurs et candidats pourraient vaquer à leur besogne sans être tous, du premier coup, nécessairement fusillés. J’aime mieux ne pas mettre sa parole à l’épreuve. C’est plus digne et plus sûr. Ainsi pas de question, pas de doute possible ; sans armistice, point d’élections.

Même avec armistice, je vous l’ai déjà dit, ce ne serait pas un présent sans danger que cet intermède électoral, de vingt à vingt-cinq jours au moins, coupant court aux mâles habitudes, aux devoirs du soldat, à la vie du rempart acceptés par nos Parisiens avec une constance que sans la moindre flatterie je ne puis m’empêcher d’admirer. On risquerait évidemment de les laisser se refroidir ; mais l’occasion serait si belle d’assurer à la France la sauvegarde d’une assemblée, que si, par impossible l’armistice nous était offert, nous ne pourrions guère, ce me semble, ne pas en profiter. Seulement point d’illusion : M. de Bismarck a repoussé d’une façon si superbe l’indispensable condition d’un ravitaillement équitable, que, malgré son évident désir de nous voir embarqués dans une affaire électorale et de nous ménager cette distraction, je doute qu’il fût d’humeur à se donner un démenti, à nous faire amende honorable : comptez donc sur son refus, il n’en démordra pas, et quant à nous, prendre au rabais ses concessions et passer sous ses fourches, accepter l’armistice sans ravitaillement, c’est une extrémité que personne à coup sûr n’oserait souhaiter, encore moins conseiller, d’abord par respect pour nous-mêmes, puis par justes égards envers notre gouvernement de la défense nationale, à qui cette exigence, cet appel aux élections quand même semblerait, je le crains, un signe de défiance dont tout bon citoyen, même en faisant à part lui ses réserves, doit savoir aujourd’hui s’abstenir.

Il faut donc, quoi qu’il nous en coûte, renoncer à la perspective d’une assemblée prochainement élue. Déjà l’agitation soulevée à ce propos dans la presse paraît tout à fait calmée, et c’est presque de l’histoire ancienne que d’en parler aujourd’hui. Je suis même tenté de croire, car nous sommes ainsi faits, que ceux qui voulaient hier enlever d’assaut les élections vont dès demain n’y plus penser, et qu’il ne sera dorénavant pas plus question d’électeurs, d’assemblée, de comices, que si jamais la France ne devait plus s’en occuper. Opposons-nous, je vous en prie, à cette brusque revirade. Si, pour concentrer nos efforts sur le seul soin de la défense, nous renonçons, quant à présent, à la lutte publique d’où seraient sortis nos représentans, ce n’est pas une raison pour que chacun de nous dans sa sphère privée, dans le cercle de ses relations, sans