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mot de Sainte-Beuve ; je voudrais ajouter une dernière note qu’il recueillait avant de mourir. Il avait rencontré Lamartine le soir d’une de ces journées de 1848 où il y avait eu agitation autour de l’Hôtel de Ville et où tout avait fini par un nouveau triomphe. Sainte-Beuve, qui n’avait pas vu Lamartine depuis longtemps, le retrouvait en plein combat, en pleine victoire, et il le pressait d’user de la force qu’il avait conquise. « Au reste, ajoute-t-il, je le trouvai plus grand et plus sec que jamais, le profil noble et raide, bien portant malgré sa fatigue et sa maigreur, soutenant à merveille ce rôle de chef populaire, avec cet œil d’oiseau de haut vol qui plane et qui discerne toutes choses de sa hauteur. O le plus grand des ambitieux, comme je n’ai jamais cherché en toi que le poète ! »

Poète ou ambitieux, il était certainement arrivé au sommet de son rêve. Enfant gâté de la faveur publique, il se sentait porté par ce souffle qui l’avait soutenu pendant trois mois, par ces deux millions de suffrages qui se réunissaient sur son nom dans les élections et qui auraient pu être plus nombreux encore, s’il l’avait voulu. Il ne lui restait plus en vérité qu’à savoir ce qu’il ferait de cette force dont Sainte-Beuve lui parlait à un coin de rue, entre deux acclamations de la foule. Il ne le savait pas, et la vie de Lamartine est une de celles où s’agite de la façon la plus saisissante un problème étrange, un problème qui est passé plus d’une fois à travers l’histoire, surtout aux temps de révolutions : comment se perd une popularité ? Comment un homme, qui la veille encore régnait par l’imagination, par l’éloquence, sur des millions de ses contemporains, retombe-t-il le lendemain dans le délaissement et l’oubli ? La popularité a ses mystères et ses mobilités. Un homme s’élève, il captive un moment tout un peuple, il rallie dans une heure de péril tous les vœux et toutes les espérances. Il tombe tout à coup du haut du piédestal qu’il s’est fait ou qu’on lui a fait : pourquoi ? En faut-il beaucoup pour cela ? Non. La popularité est l’amour de la multitude, peu de chose suffit souvent pour l’altérer, pour lui porter une irréparable atteinte. Le lien est brisé, la foule suit un autre courant, elle cherche une autre idole, elle se crée de nouveaux guides. Un rien suffit, dis-je ; mais est-ce bien un rien ? Est-ce qu’il n’y a pas une logique, une justice dans ces inconstances de la popularité ? Évidemment une nation ne prodigue pas sa faveur par un simple fanatisme. Quand elle élève un homme par un mouvement irrésistible de confiance, c’est qu’elle attend de lui une satisfaction, une impulsion, le salut peut-être, c’est que cet homme répond à sa pensée intime, et, quand elle s’aperçoit qu’il y a un malentendu, la confiance se retire. Il ne reste plus qu’une destinée échouée que le flot de la faveur publique ne viendra plus reprendre.

C’est l’histoire de Lamartine en 1848. Jusqu’au mois de mai, il