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alarmantes et mensongères ; les autres, instrumens d’intrigantes coteries, semaient le trouble et la défiance. Au dehors, c’est-à-dire aux états-majors des secteurs et sur les remparts, les militaires assombrissaient les âmes par leurs propos décourageans, et la contagion gagnait vite. Si l’on en croyait les officiers de l’armée active, trop accoutumés depuis longtemps à faire abstraction de la force morale, l’impossibilité de prolonger la résistance était mathématique, tout était bien fini, l’on ne pouvait aller contre les règles ; il ne restait plus qu’à décider si l’honneur militaire exigeait qu’on perdît encore une bataille avant de se rendre. Chez les soldats, la résignation remplaçait l’entrain disparu ; ils répétaient qu’il n’y avait plus qu’à bien mourir « sous les ordres du général De profundis. » La garde nationale ne pouvait échapper à ces impressions. Par une fâcheuse coïncidence, ce fut précisément alors que parut un nouveau décret, celui du 8 novembre, aux termes duquel chaque bataillon devait fournir quatre compagnies de guerre.

Nous avons déjà fait connaître l’économie de ce décret. Il arrivait si tard que toute critique, même bienveillante, devenait inutile et intempestive. Militairement la conception pouvait être meilleure. Au point de vue civil, l’application entraîna des inégalités, des inconséquences, qui parurent choquantes. Il y eut des bataillons où le chiffre des volontaires inscrits égalait ou dépassait même le contingent demandé ; mais il s’en fallait qu’il en fût de même partout, et quelquefois l’on dut, pour compléter l’effectif, atteindre la catégorie des pères de famille. Jamais loi n’a produit des effets aussi disparates. Celle-ci donna lieu à des scènes pénibles. Uniquement pénétrés de l’idée qu’une injustice était commise, plusieurs citoyens éclatèrent en récriminations malheureuses, et, quand les compagnies nouvelles se réunirent le 11 novembre pour procéder à la formation de leurs cadres, ils voulurent que leurs protestations fussent jointes aux procès-verbaux des élections. Bien plus, des compagnies entières (en petit nombre, il faut le dire) refusèrent nettement de se constituer. Divers argumens furent invoqués ; on déclara surtout que les pères de famille ne devaient pas aller s’exposer aux balles prussiennes quand il était notoire que des célibataires et des jeunes gens se trouvaient soustraits au danger. Quelque reproche qu’on pût faire à la loi, ceux qui parlaient ainsi oubliaient quel était leur strict devoir. Dans l’état où nous sommes, il faudrait que depuis longtemps tout célibataire fît partie de l’armée active, et tout homme marié des bataillons de garde nationale mobilisés. Voilà la vérité, et dès lors il était coupable de chercher derrière soi ou à ses côtés de quoi colorer un refus. N’avions-nous pas d’ailleurs assez haut réclamé des armes ? Pensions-nous que les fusils n’avaient d’autre usage que la parade ou l’exercice ? Quoi ! pendant de longs jours et de longues semaines, on accusait les lenteurs de la province à nous secourir, on s’indignait que les milices du nord, de l’ouest et du midi ne sortissent pas