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Favre, de M. Etienne Arago et du général Tamisier. Alors seulement les enrôlemens commencèrent ; mais le début avait tout compromis. On eut beau, dans quelques mairies, afficher des adresses remplies d’emphase, invoquer la patrie en deuil, déployer l’appareil théâtral des drapeaux, des tambours, des tentures funèbres ; il aurait mieux valu que le gouvernement mît dans ses actes plus de clarté, de suite et de précision. Nombre de citoyens, braves et déterminés à lutter sous Paris en gens de cœur, mais pour qui c’eût été le dernier sacrifice de se voir indéfiniment associés à l’armée active, en restèrent à la première impression que le décret leur avait faite. La lecture en était d’ailleurs presque toujours accompagnée d’interprétations malveillantes par les chefs de la garde nationale. Pour des raisons diverses, la plupart des commandans se montraient hostiles à cette mobilisation. Plusieurs alléguaient qu’il était trop tard, qu’on allait désorganiser leurs bataillons, leur enlever tous les bons élémens, ne leur laisser dans les mains que ce qui était médiocre et débile. D’autres se refusaient à dresser des listes de volontaires, affirmant que leur bataillon tout entier demandait à marcher au feu, ce qui en réalité n’engageait personne. Survint le désarroi du 31 octobre, qui coupa court aux enrôlemens. Dès lors il ne fut pas plus question du décret du 16 que s’il n’avait jamais été rendu. Le gouvernement avait compté, dit-on, sur 100,000 hommes ; nous ne savons pas exactement quel fut le nombre de ceux qui répondirent à son appel, mais ce nombre a été malheureusement assez petit pour qu’on n’ait pas cru devoir le publier. L’entreprise avorta pour avoir été mal conduite.

Il y avait deux mois déjà que la république était fondée. Que n’avait-on su profiter de ces journées superbes de septembre, lorsque partout retentissaient les plus fiers accens de vengeance, lorsque la réponse de M. Jules Favre à la Prusse faisait tressaillir jusqu’aux murailles, et que la patrie elle-même était descendue au fond des cœurs ? Pour n’avoir pas su nourrir l’ardeur qu’il avait lui-même allumée, le gouvernement la laissa se changer insensiblement en une impatience maladive. Il fut moins prompt à l’exécution qu’aux discours, et fatigua Paris comme on lasserait un cheval généreux qu’on contraindrait de rester immobile en l’excitant du geste et de la voix. Le coup soudain de la chute de Metz trouva la population amollie et mal préparée. On nous avait habitués à compter sur d’autres que sur nous-mêmes, et nos chefs semblaient croire que le jour était proche où Bazaine se chargerait d’apporter un dénoûment vengeur. On commit une faute analogue et plus grave encore en entretenant l’illusion que, Metz étant rendu et Bazaine ayant capitulé, l’Europe s’interposerait et prêterait son égide à la France. Cette erreur dissipée, l’énervement fut à son comble. Dans Paris, cinq ou six journaux contribuaient sciemment à pervertir l’esprit public. Les uns, que touchait seule la considération du gain, tenaient boutique de nouvelles