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précipices, les arêtes, sont franchis en quelques bonds : la solitude est faite sur le point qui un instant auparavant était si animé. Parfois ces gracieux ruminans marchent dans la neige, ou se promènent à la surface polie du glacier en avançant avec précaution, et c’est alors qu’ils sont le plus aisément frappés par les chasseurs. En été, les chamois trouvent sans peine une nourriture variée et abondante, ils ont à portée des herbes de tous les genres et les buissons de rhododendrons ou de genévriers ; mais en hiver arrive la disette : obligés de chercher un refuge dans les parties boisées, ils n’ont guère d’autre pâture que les mousses et les lichens.

Par le beau temps, il n’est pas rare d’apercevoir des marmottes sur les montagnes voisines de Pontresina. Les gros rongeurs, que les petits savoyards ont rendus populaires dans toute l’Europe, ne s’écartent jamais de la région des glaces et des neiges ; ils s’établissent sous des amas de pierres ou entre des rochers, dans la zone où les buissons cessent d’exister. La marmotte, qui s’appelle dans l’Engadine la muntanella, a des habitudes bien différentes de celles des autres rongeurs. Médiocrement agile, elle manifeste une sorte de confiance quand on l’examine, comme si elle avait le sentiment de la difficulté pour l’homme et les animaux carnassiers de parvenir jusqu’à sa retraite. Pourvu de membres courts et trapus terminés par des ongles robustes, le gros rongeur des Alpes est habile à creuser des terriers. Ces demeures sont faites avec un instinct merveilleux : une longue galerie, tout juste assez large pour laisser passer l’animal, conduit dans une chambre spacieuse capable de contenir la famille entière, les parens et dix ou quinze jeunes ; une rigole inclinée, qui est établie en dessous, porte les immondices au dehors, du foin entassé dans la grande chambre forme un bon lit. Les marmottes sortent le jour pour manger, mais ne s’éloignent pas ; elles se contentent du petit champ qui entoure la demeure souterraine où croissent l’aster et le trèfle des Alpes. Si le soleil luit, elles semblent heureuses : l’une se chauffe paisiblement, les autres s’amusent à gambader ou à se dresser sur les pattes de derrière ; mais vienne la pluie, que se fasse entendre le cri du gypaète, au plus vite elles gagnent leur trou. Aux approches de la mauvaise saison, quand le sommeil de l’hiver est sur le point de commencer, les marmottes s’enferment. Avec de la terre gâchée, elles bouchent les ouvertures du terrier, et la clôture est si parfaite qu’il est malaisé de la découvrir et plus encore, de l’entamer. Nos marmottes, bien à l’abri, peuvent dormir sans danger sous des monceaux de neige.

Il paraît y avoir plusieurs espèces de rats dans la Haute-Engadine, et l’une d’elles par son genre de vie est tout à fait extraordinaire ; c’est le rat des neiges (Hypudœus nivalis), qui a été découvert, il y a moins d’une trentaine d’années, au Saint-Gothard et sur