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ministère, d’une évolution de pouvoir mettant à la place de M. Guizot M. Molé, M. Thiers ou même M. Odilon Barrot, l’auteur des Girondins se montrait assez indifférent ; dès que la question de gouvernement apparaissait sur les barricades, il devenait le plus implacable des hommes, le plus impatient d’en finir, allant d’un seul bond jusqu’à la dernière extrémité, ne se contentant ni de l’abdication du roi, ni de la régence de la duchesse d’Orléans, et plus que tout autre décidant d’une impitoyable parole, dans la séance de la chambre du 24 février, la chute de cette monarchie qui était allée chercher une dernière et trompeuse sécurité à l’abri de l’inviolabilité parlementaire. Une fois décidé, Lamartine dépassait les républicains eux-mêmes, qui lui avaient offert de s’arrêter à cette étape d’une régence, en lui promettant de l’appuyer comme le ministre populaire de cette minorité. C’est lui qui, dans une réunion secrète, s’était prononcé le premier pour la république, et lorsque les partisans de la duchesse d’Orléans attendaient encore de lui un dernier secours d’éloquence dans cette séance fameuse où la royauté restait livrée au roulis populaire, il était déjà lié. Il fallait même qu’il eût bien pris son parti pour résister à la fascination de cette grande et dramatique scène où il pouvait apparaître comme le protecteur d’une femme et d’un enfant, comme le garant devant le peuple d’une royauté rajeunie. Cette scène, il l’a refaite un jour par l’imagination, et il a refait aussi le rôle qu’il aurait pu y jouer ; mais ce n’était plus que le rêve rétrospectif de son orgueil substitué à l’implacable fatalité dont il s’était fait l’instrument à cette heure unique où sa parole avait le pouvoir de trancher une destinée.

Quel était le secret de ces résolutions emportées et fiévreuses par lesquelles Lamartine dépassait d’un seul coup les plus hardis sur le chemin des révolutions ? Il croyait l’occasion venue pour la démocratie française de se couronner elle-même ; il voyait une justification suffisante d’une révolution nouvelle et définitive dans la réalisation graduelle et sincère des deux ou trois grands perfectionnemens moraux demandés par l’époque : l’avènement des masses à la vie politique, la liberté religieuse. Il ne croyait pas à la possibilité de terminer la crise où l’on s’était laissé engager par une régence qui, à ses yeux, ne serait qu’une fronde du peuple en permanence, une anarchie intermittente, conduisant un peu plus tôt, un peu plus tard, à une catastrophe infaillible.

Oui, sans doute, Lamartine avait toute sorte de raisons de politique et de prévoyance supérieure pour colorer ses résolutions. Il a pensé ce qu’il dit et bien d’autres choses encore ; mais en même temps cette impatience qu’il mettait à tenter la fortune, cette inflexibilité qu’il montrait vis-à-vis de la royauté de 1830, tous ces