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de leurs forces ; quelques engagemens heureux l’affermissent encore ; mais une bataille décisive est livrée. L’armée hellénique n’a que des généraux médiocres à sa tête, Charès et Lysiclès. Les Athéniens donnent avec cette fougue qui leur est propre. Philippe les laisse se débander à la poursuite de l’ennemi ; il fond alors sur eux. Le jeune Alexandre, prince royal de la Macédoine, écrase les Thébains, qui se font tuer héroïquement. Cette terrible défaite de Chéronée fut pour les Athéniens un Waterloo, Des milliers de braves y périrent, et longtemps le Grec attristé contempla près du champ de bataille, comme le voyageur à Mont-Saint-Jean, le lion qu’on avait sculpté en mémoire et pour symbole de tant de courage. Ainsi se termina cette guerre imprudente où les Athéniens crurent prendre leur revanche sur un adversaire qui avait abusé leur crédulité en amorçant leur ambition, — cette guerre qui, suivant la belle expression de Démosthène, ayant commencé pour Athènes par le désir de se venger, avait fini par le besoin de se défendre,


III

Une mort violente empêcha Philippe de poursuivre d’autres conquêtes ; mais la ruine de la prépondérance athénienne était consommée et sa puissance politique mortellement atteinte. Le roi de Macédoine usa sans doute avec retenue de la victoire ; toutefois il n’en fut pas moins le plus perfide ennemi de la Grèce. Ce n’est pas en traitant avec humanité les prisonniers, en accordant d’honorables funérailles à ceux qu’on a immolés sur le champ de bataille, que l’on fait preuve de modération envers la nation vaincue ; c’est en respectant ce qu’elle a de plus cher, son unité et son indépendance. Mise dans l’impossibilité d’arrêter les progrès de la Macédoine, de redevenir l’arbitre de la Grèce et d’y exercer l’hégémonie, la ville de Miltiade et d’Aristide put certainement avoir encore des jours heureux ; son commerce reprit quelque activité, ses écoles furent toujours fréquentées, on continua à y cultiver les arts et l’éloquence ; une ombre d’indépendance locale lui fut même laissée ; cette cité n’en tomba pas moins graduellement dans une médiocrité qui eut ses douceurs et ses avantages, que le sage prêterait au tumulte des armes, aux embarras de la politique, mais qui excluait la grandeur. Humiliée, devenue une sorte de vassale de la Macédoine, Athènes ne se résigna pas facilement à une condition si dure pour son orgueil national. Bien des années encore ses patriotes nourrirent l’espérance de rétablir la cité dans sa pleine indépendance, comme après le partage de la Pologne les enfans de ce pays espérèrent