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parler. » Et plus loin : « A Athènes, on accorde aux esclaves et aux métœques une liberté incroyable ; il n’est pas permis de les battre ; un esclave ne se dérange pas pour vous… L’habillement des citoyens n’est pas autre que celui des esclaves et des métœques, et pour l’extérieur ils se valent. » Xénophon, dans ce curieux tableau de la société athénienne de son temps, nous représente les esclaves eux-mêmes vivant dans le luxe et la fainéantise, et à la différence de ce qu’on observait à Lacédémone n’ayant aucun respect pour l’homme libre, le peuple trouvant naturel que les riches paient ses amusemens et ses plaisirs et bravant la justice.

On ne s’étonnera donc pas que ce peuple d’Athènes, plus maître qu’aucun autre, fût plein d’orgueil, de présomption et de forfanterie. Lui qui détestait tous les tyrans, il entendait cependant, nous dit Aristote, être flatté comme eux. Malheur, remarque l’auteur de la Cyropédie, à celui qui se serait permis de l’attaquer sur la scène, car on n’aurait jamais toléré une telle liberté, tandis que ce même peuple trouvait bon qu’au théâtre on déversât l’insulte et le ridicule sur les riches et les hommes en réputation. Ce caractère frondeur et cet instinct égalitaire rendaient à Athènes l’exercice de l’autorité faible et difficile. Le gouvernement y manquait de décision et d’esprit de suite. Les délibérations y étaient lentes ; les affaires y traînaient en longueur, et cela se compliquait de la vénalité des hommes, sur laquelle insiste le même écrivain. La nation se trouvait donc imparfaitement protégée contre un ennemi tel que Philippe. le mal qui travaillait la société athénienne pouvait se cacher à des yeux peu clairvoyans ; mais, lorsque la guerre avec la Macédoine vint ébranler cet édifice si fortement lézardé, il se laissa voir dans toute sa profondeur.

L’état que présentait Athènes quand les intentions de Philippe devinrent manifestes rendait naturellement bien incertain le succès d’une défense mal préparée et mal conçue. Il y avait encore des entêtés qui, se bouchant les yeux, voulaient s’en remettre à la générosité du Macédonien. L’expédition de Phocion en Eubée, qui fut une heureuse inspiration, trouva des critiques obstinés. On refusait de lever des forces suffisantes, de donner l’argent nécessaire ; on jugeait inutile de réunir tant de troupes à l’avance, on attendait pour se préparer qu’il ne fût plus possible de le faire. Rien n’avait été réglé et organisé pour la guerre. Voilà ce que Démosthène reprochait justement à son pays : certaines gens s’imaginaient qu’il suffirait pour arrêter l’invasion de faire au dernier moment une levée en masse. Le grand orateur leur répétait : « Vous ne ferez jamais rien à propos avec des milices levées à la hâte ; il faut avoir une armée sur pied, lui fournir des vivres et une caisse militaire,