Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 90.djvu/420

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

intérêts qu’il ne l’aurait fait lui-même. Sparte devait craindre de voir revenir aux affaires un émule de Thémistocle ou de Périclès ; aussi favorisa-t-elle dans Athènes l’établissement d’un gouvernement où l’autorité divisée ne permit pas ces résolutions promptes et cette unité de vues et d’action qui assurent la domination. La république athénienne fut remise à trente archontes.

Les classes aisées d’Athènes, la haute bourgeoisie, ce qu’on appelait dans l’antiquité le parti oligarchique, fatiguées d’une guerre qui avait épuisé toutes les ressources, reculant devant les horreurs du siège qui s’accroissaient de jour en jour, avaient poussé la ville à se rendre. Elles attendaient du gouvernement imposé par l’étranger les bienfaits d’une paix dont la douceur leur ferait oublier la honte. Les bourgeois athéniens avaient reçu les Lacédémoniens et leurs alliés comme des libérateurs. Parmi ceux-ci se trouvaient les bannis qui rentraient à la suite de Lysandre. On eut alors le même spectacle que donnèrent les royalistes et les émigrés lorsque les alliés, maîtres de Paris, remplacèrent le gouvernement énergique jusqu’à la tyrannie de Napoléon Ier par la royauté constitutionnelle, faible et chancelante, de Louis XVIII ; mais là s’arrête l’analogie. Autant la restauration fut tempérée dans ses mesures, modérée dans l’exercice d’un pouvoir que les partis prenaient à tâche d’avilir et de décrier, autant les trente archontes se montrèrent violens et impitoyables. Il faut bien le dire aussi, leur tâche gouvernementale était difficile, et, en présence d’une opposition ardente qui poussait follement à tenter encore la voie des armes pour repousser l’influence de l’étranger, le pouvoir avait besoin d’être singulièrement ferme. Malheureusement il avait un vice originel ; il s’appuyait sur Lacédémone. Les excès de la démagogie avaient perdu Athènes, les trente réagirent dans le sens absolutiste ; ils supprimèrent ce que nous appellerions aujourd’hui les institutions libérales, comme pouvant rouvrir la porte aux agitations. Les chefs, les fauteurs du parti démocratique furent proscrits, la liberté de la pensée et du théâtre interdite, condamnée comme un crime, l’obscurantisme préconisé.

Le malheur des pays livrés aux révolutions, c’est qu’ils sont inévitablement ballottés entre l’anarchie et le despotisme sans jamais pouvoir trouver leur assiette. Les énormités du pouvoir absolu y provoquent le réveil d’une liberté promptement poussée jusqu’à la licence, et l’horreur de la licence ramène au despotisme. Le gouvernement des trente finit par être en tout comparable à celui qu’imposa la convention à la France en 1793 et 1794. Les tyrans se proscrivirent entre eux. L’un d’eux, Théramène, paya de sa vie sa modération relative, l’opposition qu’il faisait à une mesure tendant à dépouiller les plus riches des métœques ou étrangers