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lettres et les arts. Élève de Zenon d’Élée et d’Anaxagore, des musiciens Pythoclides et Damon, il avait le goût de tout ce qui est grand et beau. Il patronnait Phidias, dont il fut l’ami et l’inspirateur, causait métaphysique et éloquence avec Protagoras, poésie avec Sophocle et Euripide, puis se reposait dans le commerce plein de séduction et d’aimable liberté d’Aspasie. Tout cela nous fait penser à Louis XIV appelant près de lui Puget, Lebrun et Mansard, conversant avec Racine, protégeant Molière, écoutant Bossuet, et préférant la douce société de Mme de Maintenon aux frivolités bruyantes qui l’avaient d’abord charmé.

Aimant le faste et la magnificence plus pour sa ville que pour lui-même, Périclès consacra, comme le grand roi, des sommes énormes à la construction d’édifices somptueux sans négliger les créations utiles. Il développa le commerce et l’industrie, et contribua ainsi à répandre dans le peuple l’aisance et le bien-être, qui avaient été longtemps le privilège de l’aristocratie. Il attira les étrangers, ouvrit à la marine athénienne de nombreux débouchés par la fondation de colonies où allait se déverser le trop-plein de la population. S’il dépensa beaucoup et pressura souvent les alliés, il apporta du moins dans la gestion des deniers publics une probité que ne s’étaient imposée ni Thémistocle ni Cimon.

L’immense popularité que s’acquit Périclès par une administration qui fut un véritable règne tendait cependant à décliner, quand la mort vint le frapper après l’avoir privé de tout ce qui lui était le plus cher. La démocratie athénienne était ingrate comme toutes les démocraties. L’envie, les ambitions impatientes, finissaient par y ruiner les réputations les mieux établies, par faire oublier les services les plus signalés. D’ailleurs, quand la malignité populaire s’attache à mettre en relief chez les gouvernans les moindres fautes et les moindres faiblesses, quel est l’homme politique qui peut échapper aux sévérités de l’opinion ? Quelque système de gouvernement, quelque ligne de conduite qu’on adopte, on a toujours ses côtés faibles et ses défaillances, qui conduisent forcément à l’impopularité. Périclès, en exaltant la grandeur d’Athènes, lui avait attiré des jaloux, des ennemis ; ayant, comme Louis XIV, ramené à sa seule personne le gouvernement d’un peuple d’où l’élément aristocratique était évincé, il avait affaibli l’énergie et l’initiative individuelle des citoyens. L’édifice que Périclès avait élevé était plus magnifique que solide, et quand sa main puissante ne fut plus là pour le soutenir, les esprits pénétrans durent en reconnaître la fragilité. S’ils portaient alors leurs regards à l’horizon pour chercher de quel côté s’annonçait le danger, ils apercevaient Lacédémone, la constante adversaire de leur patrie, toute prête à ressaisir l’hégémonie ; ils ne perdaient pas non plus de vue la Perse, qui jadis avait failli