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le témoignage des feuilles allemandes, quelques journaux aux avant-postes prussiens pour apprendre ce qui se passait en France. La mission du général Bourbaki dut avoir pour objet principal de fournir des renseignemens positifs à l’armée de Metz sur l’état de notre pays. Si on en juge par la conduite patriotique que tient ce général, il eût été d’avis qu’il n’y avait pas d’hésitation possible, qu’il fallait se rallier au seul gouvernement qui fût debout, combattre avec lui, sous lui, pour une cause supérieure à toutes les questions politiques, pour le salut de la patrie. Lui-même prêchait d’exemple en offrant son épée à la délégation de Tours sans discuter les origines de la république, sans autre souci que la pensée de la délivrance.

Cette impression d’un homme de cœur, d’un soldat qui en face de l’ennemi ne voyait plus d’autre drapeau que le drapeau de la France, arriva-t-elle jusqu’à Metz ? Le maréchal Bazaine eut-il un instant la pensée de sortir de sa réserve pour reconnaître publiquement le pouvoir nouveau ? Se livra-t-il dans son âme quelque douloureux combat entre d’anciens devoirs et le devoir présent ? Consulta-t-il les généraux qui l’entouraient pour s’entendre avec eux sur ce qu’il devait faire ? On l’ignore absolument ; mais ce que l’on sait, c’est que la résolution de se tenir à l’écart et en dehors de toute action commune avec le gouvernement de la défense nationale l’emporta définitivement dans son esprit. Nous en trouvons la preuve dans les actes et dans les paroles du général Bayer, envoyé par lui en dernier lieu pour traiter directement à Versailles avec le roi de Prusse et M. de Moltke. Ce n’est pas au nom de la république, mais au nom du commandant en chef de l’année du Rhin, que le général Boyer négocie. Ce n’est ni à Paris, ni à Tours, ni auprès du général Trochu, ni auprès de M. Gambetta, que l’envoyé du maréchal Bazaine demande à l’état-major prussien l’autorisation de se rendre ; dans le cours de la négociation, il communique avec Londres, il ne cherche pas à communiquer avec les représentans de la république française, il semble qu’à ses yeux celle-ci n’existe point, que, pour conclure une négociation si grave, d’où dépend le sort d’une ville et d’une armée, il n’ait besoin ni de prévenir ni de consulter le gouvernement de la défense nationale. Il agit sans lui, en dehors de lui, comme le représentant d’un pouvoir indépendant qui n’a d’ordres à recevoir en France d’aucune autorité supérieure à la sienne.

Nous ne faisons pas un crime au maréchal Bazaine d’avoir agi avec cette entière indépendance ; nous établissons seulement par des preuves positives que telle a été sa conduite. Il ne sera peut-être pas difficile d’ailleurs de découvrir les causes de l’isolement