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plusieurs sorties, résisté à plusieurs assauts, perdu le tiers de son effectif, consommé toutes ses provisions. Après de si héroïques efforts, il pouvait succomber, aucun doute ne planait sur ses actes. Il emportait en capitulant l’admiration de ses compatriotes et l’estime de l’ennemi. Lui-même du reste, ne s’en rapportant pas à ces témoignages universels d’approbation, ressentait le besoin généreux d’être jugé sur des preuves par le gouvernement de son pays, et, prisonnier sur parole, il se rendait immédiatement à Tours, afin d’expliquer sa conduite. Rien d’obscur, rien d’équivoque dans cette noble histoire. Depuis le premier jour jusqu’à la dernière heure, le commandant de Strasbourg est resté en étroite communication avec l’âme de la France, sans se croire d’autres devoirs que des devoirs de soldat, d’accord avec les habitans de la ville qu’il défendait, également d’accord avec les deux pouvoirs qui en se succédant à Paris représentaient pour lui l’unique intérêt du moment, l’intérêt de la défense nationale. Nous regrettons que la conduite du maréchal Bazaine n’ait été ni aussi nette, ni aussi facilement comprise. Il ne doit s’en prendre qu’à lui de l’incertitude où il nous jette. Évidemment d’ailleurs il ne s’est pas montré fort pressé de s’expliquer devant la France. S’il avait jugé opportun de faire connaître ses actes à son pays, le temps ne lui aurait pas manqué pour adresser à Tours un mémoire justificatif qui nous serait déjà parvenu depuis plusieurs jours. Malgré l’inexplicable silence que s’obstine à garder celui qui nous doit compte d’une ville et d’une armée, on peut essayer de dégager de ces ténèbres le petit nombre de faits qui paraissent dès à présent acquis à l’histoire.


I

Si l’on ne sait pas tout, on connaît cependant des détails très précis sur les négociations du commandant en chef de l’armée du Rhin et sur les conditions dans lesquelles il a capitulé. Il semble d’abord avéré que le maréchal Bazaine, investi par l’empire d’un commandement supérieur, n’a jamais reconnu officiellement ni la république, ni le gouvernement de la défense nationale. Privé de toutes communications avec la France, ne sachant guère de nouvelles du dehors que par les rares messagers qui traversaient les lignes prussiennes du côté de la Belgique et du grand-duché de Luxembourg, ou par les relations intéressées de ses ennemis, il attendait sans doute, avant de se prononcer, des informations plus sûres ou plus complètes sur les dispositions générales de la province. Son ignorance fut telle à cet égard qu’il fit demander, d’après