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peuple, et ceux qui s’en vont à l’Hôtel de Ville décréter une révolution de leur propre autorité, confisquer un gouvernement, proclamer de fantasques dictatures sur les tables où délibéraient un instant auparavant les conseils reconnus par le pays tout entier ? Il n’y a qu’une différence, c’est que les 2 décembre durent quelquefois dix-huit ans, et que les 31 octobre ne durent pas dix-huit heures. A-t-on bien réfléchi à tout ce qu’il y a de révoltant dans cette arrogance et dans ces procédés ? Ainsi voilà une population tout entière qui passe sa journée patriotiquement aux remparts ou laborieusement à ses affaires ; pendant ce temps, M. Flourens, M. Blanqui, sont à l’Hôtel de Ville, disposant de ses droits, de ses intérêts, de son existence même, bâclant des gouvernement et des communes révolutionnaires, et le lendemain cette population est exposée à se réveiller avec un régime nouveau, sans avoir été consultée, sans savoir ce dont il s’agit, — à moins toutefois que le rappel n’ait battu à temps, et qu’elle n’ait été obligée de passer la nuit sous les armes pour déjouer les surprises qu’on lui ménageait. Et d’où tirent-ils leur mandat, ceux qui se permettent ces usurpations ? Ont-ils été du moins désignés par une certaine faveur publique, par la popularité des services, par le mérite, par une élection quelconque ? Rien du tout ; les uns sont tout au plus élus adjoints dans leur quartier, les autres ne sont pas même maintenus chefs de leur bataillon dans la garde nationale. Ils n’ont d’autre titre qu’une certaine passion agitatrice qu’ils mettent au-dessus de la république elle-même. La république, c’est eux ; le peuple, c’est eux, ils le proclament sans cesse, surtout quand ils en ont besoin. Qu’arrive-t-il cependant ? On vient de le voir d’une façon saisissante. Le 31 octobre, c’était, à n’en pas douter, la volonté populaire qui s’affirmait en plein Hôtel de Ville, qui criait pour la commune. Trois jours après, le gouvernement assailli, condamné, séquestré, ouvrait un grand scrutin, il consultait justement cette volonté populaire au nom de laquelle on prononçait sa déchéance, il se mettait aux voix, et une immense majorité se prononçait pour lui en lui donnant la force nouvelle d’un assentiment éclatant. Le gouvernement sorti de l’acclamation spontanée du 4 septembre devenait par le fait du peuple lui-même le gouvernement élu du 3 novembre. Décidément le peuple trouvait que le général Trochu et M. Jules Favre valaient un peu mieux que M. Flourens et M. Blanqui. La leçon est-elle assez évidente, et le scrutin a-t-il assez bafoué ces prétentions usurpatrices qui sont une véritable épidémie dans les momens d’agitation et de crise.

Si les auteurs de la Journée du 31 octobre avaient un secret pour sauver l’indépendance nationale, l’inviolabilité de la grande ville assiégée et la république, un moyen bien simple était à leur disposition ; ils pouvaient faire comme tout le monde ; ils n’avaient qu’à se joindre au gouvernement, à lui communiquer leurs idées, à lui prêter leur appui, à mettre en commun tout ce qu’ils ont d’idées, de ressources,