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qu’il a pu pour l’atténuer ou pour l’abréger ; c’est cette séparation accomplie avec une effrayante sûreté et une audace méthodiquement implacable par le fer ennemi. Depuis deux mois, entre Paris et la province le lien intime est brisé, il n’y a plus que des relations de hasard, et la France est un grand corps à demi mutilé dont les organes ne fonctionnent plus d’intelligence. La province du moins, quant à elle, la province peut savoir quelque chose, elle a ses rapports ouverts avec l’Europe, avec le monde ; d’ici même elle reçoit tout ce qu’on peut lui envoyer à travers les airs, et quand il ne resterait rien de plus, elle aurait encore devant les yeux cet exemple, plein d’une muette éloquence, de Paris arrêtant malgré tout l’ennemi sous ses murs, opposant jusqu’ici une résistance inexpugnable. Quant à Paris, il ne sait à peu près rien, il ne sait que ce qui peut pénétrer par quelque fissure inconnue ou ce que l’ennemi veut bien peut-être laisser arriver jusqu’à lui, et le gouvernement lui-même est obligé d’avouer que ses communications avec les départemens sont tout ce qu’il y a de plus incertain et de plus précaire, qu’il passe des semaines sans rien recevoir de la délégation de Tours. Au premier instant, on ne s’est point trop aperçu de ce qu’il y avait de poignant et de redoutable dans cette suspension de la vie nationale, parce qu’on croyait peut-être que ce serait l’affaire de quelques jours. L’épreuve en se prolongeant fait visiblement sentir son aiguillon, et à mesure que le temps passe, le malaise, les anxiétés éclatent. D’un jour à l’autre, d’une heure à l’autre, les impressions changent et produisent une sorte de tourbillon. On se demande alors ce que deviennent ces armées de la province dont on parlait, ce que fait cette délégation de Tours aux directions flottantes ; on s’interroge sur des bruits sinistres venus de certaines villes telles que Lyon, Marseille, qui n’auraient pas réussi aussi bien que Paris à se défendre de ce misérable et fatal fléau de la guerre civile en présence de l’ennemi ; on commente les moindres nouvelles, et de ces rumeurs propagées dans le trouble, dénaturées souvent par la passion ou par la crédulité, le dernier mot se résume toujours dans ces questions multiples, confuses, qui se pressent sur toutes les lèvres : — où allons-nous ? quel sera le dénoûment ? quand viendra la délivrance de ce Paris assiégé où se concentrent depuis deux mois les plus ardentes palpitations de la patrie française ? Que veulent donc ces Prussiens qui semblent n’avoir pas assez de victoires et de sang versé après Reischofen et Forbach, après Sedan et Metz, qui pour le triomphe d’un froid orgueil s’acharnent encore dans une lutte sans issue ? Ainsi vont les esprits, se flattant un jour de la conclusion d’un armistice proposé par les puissances neutres et retombant le lendemain en face de la nécessité inexorable d’une défense désespérée, flottant sans cesse entre la paix et la guerre, et finissant par se réunir pour demander qu’on sorte de l’obscurité, qu’on appelle une assemblée nationale à une délibération suprême sur les destinées de la France. C’est