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l’intérêt en devait rester le même jusqu’à l’échéance du capital. Les frais de la guerre devaient donc être mis principalement à la charge de l’impôt, et M. Gladstone motiva sa proposition à cet égard par les considérations suivantes. « Les dépenses de la guerre, dit-il, sont l’obstacle moral qu’il a plu à la Providence de mettre à l’ambition et à l’amour des conquêtes dont sont dévorées tant de nations. En effet, par l’éclat et les hasards dont elle est entourée, par la gloire qu’elle donne et les passions qu’elle soulève, la guerre a un tel charme pour les hommes, qu’ils deviennent aveugles aux misères qu’elle entraîne après elle. La nécessité de se trouver chaque année en regard des frais qu’elle occasionne est donc un frein salutaire qui les oblige à méditer sur ce qu’ils font, à calculer le prix auquel ils achètent les profits sur lesquels ils comptent ; c’est par ce moyen seulement que, portés à réfléchir comme des êtres sensés et intelligens, ils peuvent être amenés à faire des guerres politiques et non pas des guerres de passion, à en bien envisager l’utilité avant de les entreprendre, et à bien se pénétrer de la convenance de les terminer dès qu’il y a possibilité de conclure une paix honorable. » C’est, ajoutait M. Gladstone, ce que n’avait pas compris assez tôt Pitt, et, si cet homme d’état s’était, selon lui, adressé à l’income-tax dès 1792, le poids de cet impôt, en modérant l’ardeur belliqueuse du pays, eût amené sans doute une fin plus prompte des hostilités sans aggravation sensible de la dette publique.

Cet exemple de la prétendue erreur commise par Pitt ne paraît guère bien choisi. Si jusqu’en 1798 celui-ci préféra recourir au crédit plutôt qu’à l’impôt, ce fut, non parce qu’il trouvait dans l’emprunt un moyen plus facile de satisfaire ses penchans belliqueux, mais bien parce qu’il crut mieux ménager les intérêts du pays en lui réclamant d’abord les ressources disponibles qu’une paix fructueuse lui avait permis d’économiser. D’ailleurs, lors même que dès 1792 il eût établi l’income-tax, il eût hésité probablement à lui demander la totalité des moyens extraordinaires dont il avait besoin, soit 19 millions de liv. sterl. par an, c’est-à-dire plus que le montant des impôts existans ; il s’en fût tenu aux proportions de 1798 et des trois années suivantes, et le capital de la dette publique se fût trouvé encore accru de 80 millions de livres sterling environ. Quant à la doctrine de M. Gladstone en elle-même, la règle ne saurait en aucun cas être absolue ; si on envisage la question au point de vue moral, l’exemple de l’Angleterre, s’imposant de 1805 à 1815 l’income-tax à un taux souvent excessif, témoigne que le poids des contributions les plus onéreuses n’est pas toujours un obstacle à la durée d’une guerre, quand il s’agit pour un pays de maintenir sa grandeur et son indépendance. Et du reste, comme il est juste