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à peu les magistratures et les sacerdoces, était une classe riche. Elle se composait surtout de commerçans, d’industriels, de banquiers et de spéculateurs. La plèbe dont parle l’histoire de ce temps-là était à peu près ce qu’on appela plus tard l’ordre équestre. Dans l’armée, elle remplissait douze compagnies de cavalerie sur dix-huit, et composait presque à elle seule toutes les centuries d’infanterie de première classe. Toutes les fois que l’armée votait dans ses comices centuriates, c’était cette plèbe riche qui disposait de la majorité des suffrages. Il ne faut donc pas s’étonner qu’elle ait acquis une autorité prépondérante, et qu’elle ait insensiblement façonné la constitution politique de la manière la plus favorable à ses intérêts.

Vers l’an 300 avant Jésus-Christ, la victoire de cette classe riche fut complète, et elle remplaça décidément le patriciat dans le gouvernement de la cité. En apparence, la constitution était démocratique, puisque la loi proclamait l’égalité, et qu’il était dit que chacun pouvait voter dans les comices, être sénateur, être consul. En réalité, le gouvernement était aristocratique, puisque dans les comices centuriates la classe riche était absolument maîtresse du vote, et que, même dans les comices par tribus qui paraissaient plus populaires, la classe des possesseurs fonciers avait trente et une voix, tandis que celle des prolétaires n’en avait que quatre. La classe riche avait d’ailleurs introduit dans Rome de telles habitudes et de telles mœurs électorales que, pour être élu magistrat, il fallait nécessairement acheter les suffrages du peuple romain. On n’était donc magistrat qu’à la condition d’être riche, et l’on n’était guère sénateur qu’à la condition d’avoir été magistrat. Toutes les fonctions étaient gratuites, elles coûtaient fort cher à obtenir, elles coûtaient ensuite fort char à exercer, et ce n’était qu’après avoir pu sacrifier une grande fortune comme candidat et comme consul que l’on pouvait ensuite refaire cette fortune comme proconsul dans l’administration lucrative d’une province. Tous les membres du gouvernement, à tous les degrés, étaient donc nécessairement des hommes riches. Les tribuns du peuple eux-mêmes, dans cette période qui s’étend de l’an 300 à l’an 150, appartenaient aux riches familles, et la plupart du temps le tribunat n’était pour eux qu’un marchepied pour s’élever aux charges curules. Aussi n’étaient-ils plus des chefs d’opposition. Ils formaient au contraire l’un des étais du gouvernement aristocratique. On voit maintes fois dans les historiens que le sénat recourait à eux dans les circonstances difficiles, et se servait d’eux pour faire passer ses propositions devant le peuple.

Si pendant la même époque nous jetons les yeux sur l’armée, nous remarquons qu’elle conserve un caractère aristocratique. Il est